Lorsque le dirigeant d’une société placée en redressement ou liquidation judiciaire souhaite contester le jugement d’ouverture de la procédure collective, deux étapes doivent être respectées.
Dans un premier temps, un appel du jugement prononçant l’ouverture de la procédure collective doit être interjeté, entrainant sa disparition rétroactive et permettant au débiteur de redevenir in bonis (I).
Dans un second temps, pour permettre de suspendre les effets de la procédure collective, dans l’attente de la décision d’appel au fond, l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement doit être demandé (II).
Pour en savoir plus sur la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, vous pouvez lire : Qu’est-ce que la procédure de redressement judiciaire ? ou Qu’est-ce que la procédure de liquidation judiciaire ?.
I - FAIRE APPEL DU JUGEMENT PRONONÇANT LE REDRESSEMENT/ LA LIQUIDATION JUDICIAIRE
Quelles décisions sont susceptibles d’appel ? L’article L. 661-1 du Code de commerce prévoit que « Sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation : 1° Les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire […] ; 2° Les décisions statuant sur l’ouverture de la liquidation judiciaire […] ».
Qui peut faire appel ? Selon l’article précité, peuvent faire appel de la décision :
- • En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire : le débiteur, le créancier poursuivant ou le ministère public.
- • En cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire : le débiteur, le créancier poursuivant, le comité social et économique ou, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les membres de sa délégation du personnel ou encore le ministère public.
Il est important de préciser que le débiteur faisant appel du jugement prononçant sa liquidation judiciaire doit intimer les mandataires de justice, à raison du lien d’indivisibilité existant, en cette matière, entre le débiteur et ces mandataires, un tel lien n’existe pas à l’égard du ministère public, partie jointe, auquel il appartient seulement à la cour d’appel de communiquer l’affaire (Cass. com., 9 sept. 2020, n° 18-26.824, F-P+B : JurisData n° 2020-012896).
Des parties extérieures peuvent-elles faire appel ? Au regard de l’article 583 du Code de procédure civile, toutes les personnes n’ayant pas été parties à l’instance peuvent former tierce opposition au jugement d’ouverture (C. com., art. L. 661-2).
Cette faculté est intéressante pour un créancier estimant que la situation financière du débiteur n’est pas celle décrite par le tribunal et qui voudrait exercer des poursuites individuelles contre le débiteur.
Dans ce même cas, l’appel peut être limité à certains chefs du jugement d’ouverture. Si le créancier a assigné et a obtenu l’ouverture de la procédure, il ne peut faire appel que sur la fixation de la date de cessation des paiements.
La tierce opposition doit être exercée dans un délai de 10 jours à compter de la publication au BODACC (C. com., art. R. 661-2).
Dans quel délai ? Le délai d’appel est très court, il est de 10 jours (C. com., art. R. 661-3) :
- – Pour les parties : à compter de la notification qui leur est faite (à partir du moment où le jugement est porté à leur connaissance) ; et
- – Pour le ministère public : à compter de la réception de l’avis par celui-ci de la décision.
L’appel doit il porter sur l’ensemble du jugement ou peut-il seulement porter sur certains chefs du jugement ? Selon les règles de droit commun, l’appel peut être limité à certains chefs du jugement d’ouverture.
C’est-à-dire que le débiteur peut interjeter appel uniquement sur la fixation de la date de cessation des paiements (Paris, pôle 5 8ème ch.,23 février 2010, RG n°09/12128, JCP E 2010. 1632, note Lebel ; Rev. Proc.coll.2010, n°214, note Saintourens).
En effet, le dirigeant social a un intérêt personnel à contester le report de la date de cessation des paiements de la société débitrice, de nature à faire apparaître que sa déclaration de cet état était tardive, puisque cela constitue une faute de gestion justifiant une action en comblement de passif ou en interdiction de gérer (Com., 3 févr. 2021, n°19-16.426, NP, n°112 F-D).
Toutefois, s’il limite son recours à ce chef de la demande, il ne pourra ensuite contester l’ouverture de la liquidation judiciaire en soutenant qu’il n’y avait pas impossibilité manifeste de tout redressement (Com. 22 févr. 2017, n°15-14.722, NP, n°236 F-D).
Quels sont les effets en cas d’infirmation ou d’annulation d’un jugement d’ouverture ? Après avoir réformé ou annulé le jugement d’ouverture, la Cour d’appel pourra se saisir d’office et ouvrir une procédure de redressement ou liquidation judiciaire (C. com., art. R.631-6).
La rétractation, l’annulation ou l’infirmation du jugement d’ouverture entraînent sa disparition rétroactive. C’est-à-dire que le débiteur redevient in bonis. Il en résulte que les paiements effectués entre l’anéantissement de la décision et l’ouverture d’une nouvelle procédure sont valablement effectués (Com. 14 mai 2002, n°99-12.449, P IV, n°84 ; D.2002. AJ 1904 ; Act. Proc.coll. 2002, n°147), en effet la règle de l’interdiction des paiements de créances antérieures ne joue pas pendant cette période.
Également, le paiement des créances détenues par le débiteur sur des tiers, reçus par les mandataires de justice de la personne dont l’ouverture de la procédure collective est anéantie, doivent être restitués au débiteur (Com. 8 juill. 2003, n°00-18.881, NP).
Seuls persistent, les effets attachés au jugement d’ouverture sur la déclaration de créances et sur les diligences des mandataires désignés (Com. 2 juill. 2013, n°12-20.730, NP, n°701 F-D). En ce sens, les licenciements effectués par le liquidateur désigné restent effectifs, malgré la réformation ou l’annulation ultérieure du jugement de liquidation judiciaire. De fait, les créances qui résultent de ces licenciements resteront opposables à l’employeur (Soc. 28 juin 2006, nos 04-43.286 et 04-43.287, NP).
A fortiori, l’annulation ou la réformation du jugement ne suspendent pas les effets liés à l’exécution provisoire. De ce postulat découlent plusieurs conséquences : les frais de procédure collective peuvent être laissés à la charge de la société débitrice en cas d’annulation du jugement ouvert à son encontre (Com. 14 mai 1996, n°94-12.778).
Pour y faire face, l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement ouvrant la procédure collective doit être demandé (II).
II- DEMANDER L’ARRÊT DE L’EXÉCUTION PROVISOIRE DU JUGEMENT OUVRANT LA PROCÉDURE COLLECTIVE
Qu’est-ce que l’exécution provisoire ? Le jugement d’ouverture de la procédure collective est exécutoire de plein droit, à titre provisoire, c’est-à-dire avant l’écoulement des délais d’exercice des voies de recours (C. com., art. R. 661-1). Le jugement est exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée, c’est-à-dire lorsque qu’aucune des voies de recours ordinaires (comme l’appel) n’a été exercée.
Plus clairement, elle désigne la permission accordée par le juge de poursuivre l’exécution d’une décision, soit immédiatement, soit à compter de la notification ou de la signification de ladite décision, au regard de l’exercice d’une voie de recours à effet suspensif.
Pourquoi demander l’arrêt de l’exécution provisoire ? L’arrêt de l’exécution provisoire permettra de suspendre les effets de la procédure de liquidation judiciaire en attendant la décision au fond.
Quelles sont les conditions ? Depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, le principe posé par l’article 514 du Code de procédure civile est désormais celui de l’exécution provisoire pour toutes les décisions de première instance.
Dans le cas d’un appel au fond, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
Toutefois, en matière de procédures collectives, l’article R. 661-1 du Code de commerce déroge aux règles de la procédure civile en ne permettant l’arrêt de l’exécution provisoire, que « lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux ». De fait, pour solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire, deux conditions doivent être remplies :
1. Tout d’abord, il faut avoir interjeté appel du jugement ouvrant la procédure
Les modalités d’appel du jugement au fond ont été traitées dans la première partie (Voir I.).
2. Ensuite, il faut soulever des moyens sérieux permettant de justifier l‘arrêt de l‘exécution provisoire
L’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement de redressement ou de liquidation judiciaire sera principalement fondé sur les moyens sérieux de l’appelant tirés de l’absence de caractérisation de l’état de cessation des paiements (Basse Terre, ord. 1er prés., 20 déc. 2006, RG n°2006/00061 – Poitiers, ord. 1er prés., 1er avril 2008, RG n°08/00013).
À titre d’exemple, il a été jugé qu’un tribunal de commerce ayant ouvert la procédure de liquidation judiciaire en ne disposant d’aucun élément d’information sur la situation économique, financière, sociale du débiteur, excluait que la démonstration d’un état de cessation des paiements puisse être faite. Par ailleurs, pour retenir une impossibilité manifeste de tout redressement, le tribunal relevait seulement que l’entreprise avait un passif exigible et que le dirigeant n’avait pas comparu.
La Cour de cassation a estimé que les conditions d’ouverture de la liquidation judiciaire prévues à l’article L. 640-1 du Code de commerce n’étaient pas remplies, caractérisant ainsi un moyen sérieux à l’appui de la demande de réformation du jugement, justifiant l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire (CA Paris, pôle 1, ch. 5, Ord. 1er prés., 9 juill. 2021, n° 21/10517).
En pratique, en matière de contestation d’un jugement de liquidation judiciaire, l’arrêt de l’exécution provisoire est systématiquement demandé, du fait du caractère irréversible de la procédure. À titre d’illustration, le risque de réformation d’un jugement rend inopportune la mise en œuvre des opérations de réalisation des actifs.
Quelle est la procédure à suivre ? L’arrêt de l’exécution provisoire est sollicité par assignation en référé (procédure d’urgence) devant le Premier président de la Cour d’appel (C.com., art. R. 661-1).
L’assignation n’est enfermée dans aucun délai, toutefois l’arrêt de l’exécution provisoire étant une mesure d’urgence permettant de mettre fin aux effets de la procédure collective, elle devra être rédigée et signifiée le plus tôt possible, avant le rendu de la décision d’appel au fond.
Le Premier président de la cour d’appel statue par ordonnance.
Quelles sont les conséquences d’une décision arrêtant l’exécution provisoire ? Le liquidateur doit mettre en œuvre l’exécution provisoire malgré l’appel du jugement au fond et la possibilité de demander l’arrêt de l’exécution provisoire. Sur le fondement des règles d’ordre public, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir effectué ses missions et il reste « protégé » par les décisions rendues au cours de la procédure collective l’autorisant à réaliser les opérations pour lesquelles il est mandaté.
En effet, la décision dont l’exécution provisoire est suspendue n’est pas appliquée tant que la juridiction saisie du recours n’a pas statué.
L’article L. 661-9 alinéa 2 du Code de commerce dispose qu’en cas d’appel du jugement statuant sur la liquidation judiciaire au cours de la période d’observation ou arrêtant/rejetant le plan de redressement judiciaire, et lorsque l’exécution provisoire est arrêtée, la période d’observation est prolongée jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel statuant sur le jugement rendu au fond. La procédure est suspendue mais demeure ouverte et les organes de la procédure demeurent en fonction.
L’arrêt de l’exécution provisoire suspend également tous les effets de la liquidation judiciaire, entre autres et le plus important, la cessation d’activité. Toutefois, il est à noter que l’arrêt de l’exécution provisoire n’a pas d’effet rétroactif.
Pour finir, toutes les formalités de publicités légales requises qui n’avaient pas été mises en œuvre sont mises en suspens. Elles ne seront effectuées par le greffe du tribunal qu’au vu de l’arrêt de la cour d’appel, si l’ouverture de la procédure est confirmée ou prononcée (C. com., art. R. 641-7).
Peut-on se pourvoir en cassation contre la décision décidant l’arrêt de l’exécution provisoire ? Il a été jugé qu’une décision d’un Premier président de cour d’appel, saisi en application de l’article R. 661-1 du Code de commerce, d’une demande tendant à arrêter l’exécution provisoire facultative d’un jugement rendu en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif et de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, ne peut faire l’objet d’un recours en cassation, sauf excès de pouvoir (Cass.com., 17 févr. 2021, n° 19-12.417, n° 19-16.580).
Par cette décision, la Cour de cassation a opté, en matière de procédures collectives, d’une part, pour l’application du droit commun de la procédure civile, et d’autre part, pour la limitation de la dérogation de l’article R. 661-1 aux conditions de fond de la décision prononçant l’exécution provisoire.
Par conséquent, conformément à l’article R. 662-1 du Code de commerce, articulé avec l’ancien article 525-2 du Code de procédure civile selon lequel les décisions arrêtant ou refusant d’arrêter l’exécution provisoire ne peuvent, en droit commun, faire l’objet d’un pourvoi ; il n’est fait exception à l’interdiction du recours en cassation qu’en cas d’excès de pouvoir.
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