Certains biens apparaissant matériellement dans le patrimoine du débiteur en procédure collective ne lui appartiennent pas véritablement ; il n’est en réalité que le détenteur précaire de ces biens. Plus concrètement, il détient ces biens de manière légitime, sans toutefois qu’aucun transfert de propriété n’ait été effectué à son profit.
Pour que le propriétaire puisse récupérer son bien, deux actions existent :
- • La revendication : le propriétaire exerce une action lui permettant de faire reconnaître son droit de propriété, et ayant comme conséquence la restitution du bien détenu par le débiteur.
- • La restitution : cette action a pour seul objet la reprise du bien, puisque la qualité de propriétaire a déjà été apportée.
Procéduralement, la demande en restitution dans sa phase amiable est faite par le propriétaire du bien, par lettre recommandée avec accusé de réception à l’administrateur, s’il en a été désigné, ou, à défaut, au débiteur. S’il accepte, la procédure prend fin par la restitution du bien à son propriétaire.
À défaut d’acceptation dans le délai d’un mois de l’envoi de la lettre ou en cas de rejet, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d’un mois à compter de l’expiration du délai de réponse. Démarre alors la phase contentieuse de l’action en revendication sur laquelle le juge-commissaire statuera.
L’action en revendication
En droit commun, il est admis qu’« en fait de meubles, possession vaut titre ». Cela signifie que la possession d’un bien meuble suffit à attribuer à son détenteur un titre de propriété, sans pour autant disposer d’un quelconque document écrit.
En procédures collectives, les dispositions des articles L. 624-9 et suivants du Code de commerce offrent la possibilité de revendiquer des biens meubles se trouvant actuellement entre les mains d’un débiteur en procédure collective, sous conditions.
En effet, au terme d’une action en revendication, le propriétaire établit son droit de propriété sur le bien et agit à l’encontre des créanciers de la procédure, pour éviter que le bien ne tombe dans le gage commun des créanciers. De fait, cette action doit nécessairement être introduite après le jugement d’ouverture, puisqu’à défaut, elle représente seulement une action en restitution, découlant des relations contractuelles établies.
LES CONDITIONS
Pour que le propriétaire puisse revendiquer et récupérer son bien, il doit tout d’abord pouvoir apporter la preuve de la propriété du bien (1), le bien doit être de nature à pouvoir être revendiqué (2) et le propriétaire doit avoir intenté son action en revendication dans un certain délai (3).
1. Le revendiquant
Le revendiquant doit apporter la preuve qu’il est le propriétaire légitime du bien qu’il revendique.
Selon les dispositions du Code de commerce, le revendiquant doit avoir « remis à titre précaire » le bien au débiteur. Cela signifie que le bien a été consenti au débiteur sans transfert de propriété et qu’il est destiné à lui être restitué.
Cette exigence implique d’identifier la nature du contrat sous le régime duquel le bien est actuellement entre les mains du débiteur. Le créancier propriétaire est alors généralement un bailleur (contrat de bail), un prêteur (contrat de prêt), un maître d’ouvrage (contrat d’entreprise) ou encore un déposant (contrat de dépôt). La Cour de cassation a pu déclarer irrecevable une requête en revendication à défaut de preuve suffisante de la propriété du bien revendiqué.
Plusieurs autres types de créanciers peuvent également apporter la preuve de leur qualité de revendiquant :
• Le conjoint d’un débiteur en sauvegarde : selon le droit applicable aux régimes matrimoniaux, chacun établit la liste de ses biens personnels et peut alors en revendiquer la propriété et ainsi le soustraire de la procédure, par une procédure spécifique nommée la « reprise ».
• Le créancier bénéficiaire d’une fiducie sûreté : la fiducie sûreté implique qu’un constituant transfère, à titre de garantie d’une créance, des biens, droits ou sûretés dont il est propriétaire, dans un patrimoine d’affectation géré par un fiduciaire. Le créancier pourra alors revendiquer les biens transférés par le débiteur, qui en conserve l’usage ou la jouissance, en sa qualité de constituant.
• Le créancier d’une obligation de restitution consécutive à la résolution d’une vente : le créancier pourra revendiquer les marchandises dont la vente a été résolue antérieurement au jugement ouvrant la procédure soit par décision de justice, soit par le jeu d’une condition résolutoire acquise.
⚠️ Un point d’attention doit être consacré au revendiquant agissant en qualité de créancier réservataire, c’est à dire un contrat conclu entre un débiteur et un créancier stipulant une clause de réserve de propriété.
Cette clause prévoit que le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement de la somme convenue, et ce, alors même que l’acheteur est déjà entré en possession du bien.
Le créancier réservataire peut revendiquer un bien vendu avec une clause de réserve de propriété sous deux conditions :
• La clause doit avoir été convenue par écrit : aucune forme spéciale n’a été imposée par les textes, même si le plus généralement, elle figure dans les conditions générales de vente du vendeur. Elle peut également se trouver sur des courriels échangés entre les parties, dans un bon de commande ou encore un bon de livraison. Logiquement, cette clause doit avoir été acceptée par l’acheteur, de façon expresse (signature, confirmation de commande) ou tacite (notamment déduite de la relation d’affaires entre les deux).
• La clause doit être stipulée au plus tard au moment de la livraison : l’acheteur doit avoir été au courant de l’existence de cette clause à la remise effective des marchandises et doit avoir exécuté le contrat en conséquence. L’objectif ici est d’éviter que le vendeur stipule une clause en se rendant compte que le débiteur rencontre des difficultés et puisse ensuite revendiquer le bien en vertu de cette clause sans que l’acheteur n’ait été mis au courant.
- 2. Le bien revendiqué
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Dans un premier temps, pour être revendiqué, le bien doit être un « bien en nature » au sens des dispositions du Code de commerce.
Globalement, sont visés les biens meubles, sans qu’il soit fait mention du caractère corporel ou incorporel.
Par principe, cela signifie que le bien doit être ne doit pas avoir été transformé ou incorporé, qu’il doit être tel qu’il a été remis au débiteur. À défaut, ils n’existent plus « en nature » et ne peuvent plus être revendiqués.
Toutefois, cette condition a été assouplie et des exceptions ont pu être admises :
• Le cas d’un bien incorporé à un autre bien
Le droit des procédures collectives prévoit que la revendication d’un tel bien est possible à condition que « la séparation de ces biens puisse être effectuée sans qu’ils en subissent un dommage ».
Il appartient au revendiquant d’établir que la séparation des biens mobiliers incorporés dans un autre bien peut s’effectuer sans dommage.
• Le cas d’un bien dit « fongible »
Le droit des procédures collectives dispose que « la revendication en nature peut également s’exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité, se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte ».
La caractérisation de la fongibilité est laissée à l’appréciation des juges du fond.
• Le cas d’un bien volé ou perdu
Par principe, un bien volé ou perdu est impossible à retrouver en nature et ne semble pas pouvoir faire l’objet d’une revendication.
Toutefois, les dispositions légales admettent que peut être revendiquée « l’indemnité d’assurance subrogée au bien » s’il en existe une. Dans ce cas précis, la créance d’indemnité d’assurance sera subrogée au bien dans le patrimoine du propriétaire, c’est-à-dire qu’elle remplacera le bien dans le patrimoine du revendiquant.
• Le cas d’un bien aliéné dans le cadre d’une vente avec une clause de réserve de propriété
Par principe, le transfert de la clause de réserve de propriété au bénéfice du tiers qui a réglé au vendeur le prix des marchandises pour le compte de l’acheteur est parfaitement envisageable et légalement prévue. La réserve de propriété convenue entre l’acheteur et le vendeur constitue la garantie de la créance dudit vendeur.
De fait, l’administrateur judiciaire est en droit de vendre, pendant la période d’observation, les biens acquis par le débiteur avec une clause de réserve de propriété pour reconstituer le gage commun des créanciers.
Dans cette hypothèse, le créancier revendiquant ne peut revendiquer le bien, ni entre les mains du débiteur qui ne le possède plus, ni entre les mains du tiers à qui le bien a été vendu en toute légalité et dont il possède désormais le titre de propriété.
Toutefois, les dispositions propres au droit des entreprises en difficulté prévoient que « peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l’article L. 624-16 qui n’a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l’acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure », étant précisé que la revente des biens avant l’ouverture de la procédure collective de l’acquéreur ne fait pas obstacle à sa revendication.
Plus concrètement, le droit de propriété du revendiquant est automatiquement reporté sur la créance du prix de revente du bien. Pour cela, il doit apporter la preuve de la propriété et assigner l’acheteur en paiement au titre de la créance qu’il détient, via le mécanisme de subrogation réelle.
La subrogation intervient sous conditions :
• Elle intervient à la date de la remise effective de la chose entre les mains du tiers de bonne foi.
• Elle ne peut avoir lieu si la créance de prix de revente a été payée avant la revendication, puisque la créance est éteinte et le propriétaire n’a plus rien à revendiquer.
• Elle ne peut avoir lieu si la créance du prix de revente a été éteinte par compensation avant la revendication.
• Elle ne peut avoir lieu quand la créance du prix de revente a été réglée en valeur.
Une interdiction à laquelle on ne peut déroger persiste : la revendication ne peut porter sur des sommes d’argent. Un créancier voulant récupérer une somme d’argent consignée par le débiteur devra déclarer sa créance à la procédure.
Dans un second temps, le revendiquant doit apporter la preuve que ce bien en nature se trouve entre les mains du débiteur au jour de l’ouverture de la procédure collective.
Pour ce faire, un inventaire des biens du débiteur est réalisé.
En principe, l’inventaire du patrimoine est réalisé par le débiteur mais peut être confié à un commissaire-priseur judiciaire. Cet inventaire doit être complété par la mention des biens susceptibles de revendication portée sur une liste annexée à l’inventaire.
Dans le cadre d’une procédure collectives, l’administrateur ou le mandataire judiciaire, en fonction du type de procédure ouverte, doit veiller à ce que le débiteur établisse une liste conforme et complète des biens susceptibles d’être revendiqués. En effet, les organes doivent prendre les mesures nécessaires pour favoriser la restitution des biens n’appartenant pas au patrimoine du débiteur.
En effet, si l’inventaire ne mentionne pas la présence des biens revendiqués dans l’entreprise au jour de l’ouverture de la procédure, il appartiendra au revendiquant d’apporter la preuve contraire. Toutefois, la jurisprudence estime qu’en l’absence d’inventaire ou si celui-ci s’avère trop sommaire, un renversement de la charge s’opère et qu’il incombe aux organes de la procédure de rapporter la preuve que les biens revendiqués n’existaient plus en nature au moment du jugement d’ouverture.
3. Les délais
Par principe, en droit commun, la revendication est une action attachée au droit de propriété qui, comme le droit qu’elle protège, est imprescriptible.
Par exception, le droit des entreprises en difficulté impose au propriétaire d’agir en revendication dans un délai de trois mois à compter de la publication du jugement ouvrant la procédure. Ce délai est insusceptible d’interruption ou de suspension.
A fortiori, aucun relevé de forclusion n’est possible, mis à part dans le cadre d’une procédure de sauvegarde aboutissant à un plan finalement résolu à la suite duquel s’ouvre une nouvelle procédure collective : ici, le propriétaire pourra à nouveau revendiquer son bien dans les trois mois de la publication du jugement d’ouverture.
À défaut pour le revendiquant d’avoir agi dans le délai de trois mois, son droit de propriété sur le bien devient inopposable à la procédure et ce dernier deviendra le gage commun des créanciers et pourra être vendu pour rembourser leurs créances.
Cette contrainte ne s’impose qu’au propriétaire d’un bien meuble (qui n’aurait pas encore introduit d’action en revendication ou en restitution de son bien au moment du jugement d’ouverture).
LES EFFETS
Quand elle est admise, la revendication établit de manière incontestable le droit de propriété du revendiquant. Le bien ne figure plus à l’actif du débiteur en difficulté et ne peut plus être vendu dans le cadre de la procédure. L’admission de la revendication emporte automatiquement restitution du bien revendiqué.
⚠️ Attention, le créancier ne récupèrera pas toujours son bien selon l’utilisation faite par le débiteur :
• Si le bien revendiqué est l’objet d’un contrat continué dans le cadre de la procédure, le créancier revendiquant ne pourra pas le récupérer avant la fin du contrat, car les dispositions propres aux procédures collectives l’obligent à laisser le bien à la disposition du débiteur,
• Si la revendication est fondée sur une clause de réserve de propriété, le juge-commissaire pourra autoriser le paiement du créancier antérieur revendiquant s’il apparait que le bien est nécessaire à la poursuite de l’activité. De fait, le revendiquant ne retrouvera pas son bien mais sera payé à ce titre.
L'action en restitution
En pratique, cette action concerne les propriétaires dispensés d’action en revendication puisqu’elle tend à la reprise matérielle du bien dont on sait déjà qu’il appartient à celui qui en fait la demande.
Leurs régimes sont sensiblement identiques, mis à part quelques différences développées ci-dessous.
La première différence avec le régime de l’action en revendication est son caractère réel et non personnel. En effet, l’action en restitution est fondée sur un contrat et non sur la propriété. Dans le cas où un débiteur serait en difficulté, l’action en restitution permet au propriétaire de récupérer directement son bien.
En effet, il n’est pas nécessaire pour le propriétaire de faire reconnaître son droit de propriété, puisque celui-ci a été établi par un contrat qui a été publié au greffe du tribunal, permettant de faire savoir aux tiers que le bien dont se sert le débiteur ne lui appartient pas. Cela concerne principalement le contrat de crédit-bail.
Les biens ayant fait l’objet d’une publicité n’entrent pas en principe dans le gage commun des créanciers.
Attention, l’opposabilité attachée à la publicité du crédit-bail n’est pas sans limites, puisqu’il est seulement acquis que le contrat régulièrement publié est opposable aux créanciers du crédit-preneur qui ne peuvent saisir ce bien. Cela signifie que si le crédit-preneur vend le bien meuble dont il est locataire, le tiers acquéreur ne pourra pas se fonder sur cette publicité pour l’opposer aux créanciers et ainsi récupérer son bien.
La seconde différence avec l’action en revendication devant être intentée dans les trois mois de la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective, est que l’action en restitution n’est enfermée dans aucun délai légal.
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