Le fonds de commerce n’est pas défini par les dispositions légales en vigueur. Pour cela, la jurisprudence a rendu deux arrêts de principe permettant de pallier ce vide juridique :
- Le premier arrêt pose la définition du fonds de commerce comme étant « un ensemble d’éléments de nature à attirer la clientèle intéressée par le produit vendu ou la prestation offerte en vue de l’enrichissement de celui qui assume le risque d’une telle entreprise » (CA Paris, 4 oct. 2000, n° 1998/26846 : JurisData n° 2000-126109 ; JCP E 2001, p. 324, note B. Boccara).
- Le second arrêt définit le fonds de commerce comme « une universalité de fait, qui peut comprendre divers éléments, au nombre desquels cumulativement la clientèle, le droit au bail, l’enseigne, le matériel, le stock, des marques, des licences. » (CA Paris, 9 avr. 2009, n° 08/07996 : JurisData n° 2009-37872)
La cession d’un fonds de commerce dite à l’amiable, c’est-à-dire en dehors d’une procédure de liquidation judiciaire, est considérée comme un acte de commerce, tant pour le cédant que pour le cessionnaire, à la condition que l’acte soit passé dans le but d’exercer un commerce et qu’il soit indispensable à l’exercice de celui-ci (Cass. com., 13 mai 1997, n° 94-20.772).
De fait, les règles classiques, propres aux actes de commerce, s’appliquent.
I. Les conditions de fond
A) La capacité
LES CONDITIONS PROPRES AUX PERSONNES PHYSIQUES
Le mineur non émancipé
Par principe, le mineur non émancipé ne peut être commerçant, ni même effectuer des actes de commerce isolés et par conséquent, il ne peut pas acheter un fonds de commerce.
Ses représentants légaux ou son tuteur ne peuvent pas davantage le faire en son nom
(C.civ., art. 387-2).
Dans le cas d’un mineur non émancipé cédant, son administrateur légal peut vendre le fonds sur autorisation du juge des tutelles (C.civ., art. 387-1) et dans le cadre d’une tutelle, la vente est possible par le tuteur dès lors qu’il a l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles (C. civ., art. 505).
Le mineur émancipé
Au visa des articles 413-8 du Code civil et L. 121-2 du Code de commerce, le mineur émancipé peut être commerçant, et pourra alors acheter un fonds de commerce, sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation du président du tribunal judiciaire, s’il formule cette demande après son émancipation.
Le majeur protégé
Dans le cas d’un majeur sous tutelle, c’est le tuteur qui aura la charge de vendre le fonds de commerce, avec l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles (C.civ., art. 473).
Dans le cas d’un majeur sous curatelle, ce dernier ne pourra pas vendre son fonds de commerce sans l’assistance de son curateur (C. civ., art. 467).
Le régime matrimonial du cédant
- Le mariage
L’article 1428 du Code civil dispose que pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens, ou sous le régime de la communauté où l’un d’eux possède le fonds en tant que bien propre ; alors ce dernier dispose seul de son bien et pourra aliéner seul son fonds de commerce.
L’article 1424 du Code civil impose, pour les époux mariés sous le régime de la communauté et pour lesquels le fond est un bien commun, d’avoir le consentement de son conjoint lorsque l’un d’eux décide la vente du fonds de commerce, à peine de nullité de la vente.
- Le PACS
Par principe, les partenaires concluant un PACS sont, par défaut, soumis à un régime de séparation de biens (C.civ., art. 515-5). De fait, chacun d’eux dispose seul de ses biens et pourra donc aliéner seul son fonds de commerce.
Toutefois, les partenaires peuvent choisir dans leur convention d’écarter le régime de la séparation des patrimoines pour soumettre leurs biens au régime de l’indivision (C.civ., art. 515-5-1). Par conséquent, le fonds de commerce étant réputé être un bien commun, si l’un des partenaires décide de le céder, il devra préalablement solliciter le consentement de son partenaire.
LES CONDITIONS PROPRES AUX PERSONNES MORALES
La détermination des pouvoirs pour céder un fonds de commerce soulève des difficultés supplémentaires lorsque ce fonds appartient à une personne morale. Il est essentiel de vérifier les pouvoirs de son dirigeant, représentant la société à l’égard des tiers dans les actes réalisés.
Par principe, le dirigeant doit agir dans les limites de l’objet social prévu dans les statuts, c’est-à-dire que s’il ne se limite pas à la seule exploitation de la société, le dirigeant est habilité à céder le fonds de commerce (Cass. com., 29 janv. 1979, n° 77-11.302).
⚠️ Attention, il est important d’étudier attentivement les statuts puisqu’il est possible de prévoir une clause limitant les pouvoirs du dirigeant.
De fait, lorsque la cession du fonds de commerce n’est pas prévue dans l’objet social et qu’elle requiert une modification des statuts pour entrer dans les prérogatives du dirigeant, alors ce dernier ne pourra pas céder librement le fonds de commerce et devra se soumettre à l’autorisation de l’assemblée générale extraordinaire (Cass. com., 12 janv. 1988 : Rev. sociétés 1988, p. 263 , note Y. Chaput).
Toutefois, une cession effectuée par le dirigeant, n’étant pas prévue par l’objet social sera opposable à la société, sauf si cette dernière prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet social ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances (C. com., art. L. 223-18, al. 5, pour les SARL – C. com., art. L. 225-35, al. 2 ; art. L. 225-56, I, al. 2 ; art. L. 225-64, al. 2, pour les SA – C. com., art. L. 226-7, al. 2, pour les SCA ; art. L. 227-5, pour les SAS).
Par conséquent, la cession du fonds de commerce produira tous ses effets, sauf si le dirigeant répond des conséquences de sa faute, s’il a agi en dehors de l’objet social, à l’égard des associés.
Pour cela, il est important de s’assurer que le dirigeant représentant la société cédante dispose des pouvoirs nécessaires pour effectuer les formalités nécessaires à la cession du fonds, notamment la signature de l’acte de cession.
B) Le consentement
Principe : un consentement libre et éclairé
Au regard de l’article 1101 du Code civil, « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
Ce principe est couplé à l’article 1112-1 du Code civil, disposant que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. »
Limites : les vices du consentement
- L’erreur
L’article 1132 du Code civil dispose que « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »
Plus spécifiquement sur les qualités essentielles, l’article 1133 du Code civil dispose que « Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. L’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. L’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité. »
Dans le cas particulier du fonds de commerce, pour entrainer la nullité de la vente, l’erreur doit porter sur les qualités essentielles du fond et avoir été déterminante dans le consentement du co-contractant.
Tel a été le cas concernant l’existence d’un bail attaché au fonds (T. com. Marseille, 30 avr. 1937: Rev. fonds com. 1937, p. 309), l’absence de clientèle propre (Cass. com., 18 juin 1996 : D. 1998, p. 305, note F. Jault-Seseke), ou encore la nature du commerce qui se trouvait exercée au sein du fonds (CA Rouen, 2° ch., 28 juin 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, jur., p.19).
Toutefois l’article 1136 du Code civil, disposant que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité », l’erreur sur la valeur du fonds ne saurait en principe constituer une cause de nullité de la vente (Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-19.202).
- Le dol
L’article 1137 du Code civil dispose que : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »
À cet égard, la réticence dolosive comme cause de nullité de la vente a été retenue dans le cadre d’une cession de fonds de commerce. La Cour de cassation a admis la nullité pour dol d’une vente d’un fonds de commerce de restaurant, le vendeur n’ayant pas informé l’acheteur de restrictions à l’exercice de certains commerces, contenues dans le règlement de copropriété (Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-27.340), ou encore par la non-révélation par le vendeur, marchand de biens, à son acheteur que sa nationalité étrangère faisait obstacle à l’obtention de la licence PMU, alors que le fonds cédé comportait un bureau de PMU (Cass. com., 23 nov. 1982, n° 81-10.802).
- La violence
L’article 1143 du Code civil dispose qu’« il y a violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »
La violence résulte le plus souvent d’une contrainte morale, mais peut également être une contrainte physique. Dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, la violence va majoritairement se matérialiser par un abus de dépendance économique sur le cédant pour le pousser à vendre son fonds de commerce à un prix faible.
Sanctions
Dans l’ensemble des cas de cessions de fonds de commerces où un vice du consentement est retenu, la nullité du contrat de cession du fonds de commerce est la sanction principale. Des dommages et intérêts peuvent s’y ajouter.
L’action en nullité fondée sur le droit commun des vices du consentement se prescrit par cinq ans (C. civ., art. 1304).
C) Le prix
Dans la mesure où il s’agit d’une vente et non d’un échange, le contrat est à titre onéreux et un prix doit être fixé en argent (C.civ., art. 1107).
La détermination du prix de cession
Le prix de cession doit être déterminé ou au moins déterminable au moment de la formation du contrat, il ne doit pas dépendre d’un accord ultérieur des parties.
Plus concrètement, ce peut être un montant fixé directement, ou bien des modalités objectives de calcul d’un prix, par rapport à des indices ou des données particulières, telles qu’une quote-part des bénéfices ou un pourcentage du chiffre des ventes effectuées par le fonds (Cass, req, 5 mai 1905 : S. 1907, 1, p. 220).
Dans le cas où les parties prévoient que le prix initialement fixé sera révisé en fonction d’éléments postérieurs à la conclusion du contrat ou indexé sur indice variable, le contrat devra fixer les conditions de cette révision par le biais d’une clause particulière.
Un montant librement fixé
La fixation du prix est laissée à l’entière liberté des parties (C.civ., art. 1591) ou bien à la liberté d’un tiers (C.civ., art. 1592). Ce tiers, comme le prix, doit être déterminé ou déterminable. En revanche, les parties peuvent choisir de lui imposer une méthode de fixation du prix ou lui laisser une liberté totale.
Dans la liberté qui est accordée, il reste une exigence de fixation d’un prix réel et sérieux, sous peine d’être requalifié en donation déguisée, dès lors qu’est alléguée une intention libérale du vendeur à l’égard de l’acheteur. Par exemple, une donation déguisée dans le cadre d’une succession (Cass. req., 14 mai 1934: DH 1934, p. 330; Gaz. Pal. 1934, 2, p.216).
Le prix doit doit être ventilé en trois chiffres distincts : le prix des éléments incorporels (i), le prix du matériel (ii) et le prix des marchandises (iii).
La sincérité du prix fixé dans l’acte de cession
Le prix renseigné dans l’acte doit répondre à une obligation de sincérité, c’est-à-dire que les parties s’engagent à ce que l’acte exprime l’intégralité du prix, sans dissimulation de tout ou partie du montant (C.civ., art. 1202). En effet, puisque ce prix est fixé à des droits de mutation, les parties peuvent envisager de recourir à ce qui est communément appelé un dessous-de-table. Cette pratique est évidemment interdite et sévèrement sanctionnée.
La sanction
À défaut de détermination ou de fixation du prix, l’acte de cession encourt la nullité absolue (Cass, com, 30 nov. 1983, n° 82-12.045).
II. Les conditions de forme
A) Les formalités relatives au droit de préemption de la commune
La loi n° 2005-882 du 02 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a institué, au profit des communes, un droit de préemption en cas de cession d’un fonds de commerce situé dans un périmètre de sauvegarde du commerce.
Toutefois, le droit de préemption de la commune dans le cadre de la cession du fonds de commerce fera l’objet d’un article spécial et abordera les formalités à effectuer.
B) Les formalités aux fins d'information
L’information des salariés
Au même titre que le droit de préemption des communes, le droit d’information des salariés fera l’objet d’un article spécifique ultérieur.
Les mentions obligatoires dans l’acte de cession
Initialement, l’acte de cession devait contenir un certain nombre de mentions obligatoires prévues à l’article ancien L.141-1 du Code de commerce, aujourd’hui abrogé, à peine de nullité de l’acte.
Ces mentions étaient les suivantes :
- Le nom du précédent vendeur, la date et la nature de son acte d’acquisition et le prix de cette acquisition pour les éléments incorporels, les marchandises et le matériel ;
- L’état des privilèges et nantissements grevant le fonds de commerce ;
- Le chiffre d’affaires réalisé par le vendeur durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente, ce nombre étant réduit à la durée de la possession du fonds si elle a été inférieure à trois ans ;
- Les résultats d’exploitation réalisés par le vendeur pendant le même temps ; et
- Le bail, sa date, sa durée, le nom et l’adresse du bailleur et du cédant, s’il y a lieu.
Depuis la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, c’est le droit commun des contrats, issu de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui est applicable.
De fait, l’obligation principale est désormais celle de l’information précontractuelle définie par l’article 1112-1 du Code civil.
Les anciennes mentions obligatoires se rattachant à des informations dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’acquéreur du fonds, il est recommandé de les faire figurer afin d’assurer la sécurité économique de l’opération.
Il est à noter que même si les mentions de l’ancien article L. 141-1 du Code de commerce ne sont plus obligatoires, elles doivent être exactes si elles figurent dans l’acte.
S’agissant du cas particulier où le bail cédé avec le fonds de commerce, il est utile d’indiquer, toujours dans un objectif d’information de l’acquéreur, le montant du loyer et ses modifications ainsi que les conditions de la location (la destination des lieux loués, les clauses restrictives au droit de céder ou sous-louer, la répartition des charges, le montant des impôts fonciers, etc.).
L’enregistrement de l’acte de cession
L’acte de cession du fonds de commerce doit faire l’objet d’un enregistrement auprès du bureau de l’enregistrement du service des impôts (SIE) du lieu de situation du fonds de commerce, dans le délai d’un mois qui court à compter de la date de l’acte de cession, qui s’avère être en réalité un délai de 15 jours puisque, par la suite, l’acte de cession doit être publié dans les 15 jours de la cession.
En l’absence d’enregistrement, la publication encourra la nullité, sans que cette cela affecte la validité de l’acte de cession lui-même.
La publicité de l’acte de cession
Au regard de l’article L. 141-12 du Code de commerce, toute cession de fonds de commerce, quelle que soit la forme, devra, dans la quinzaine de sa date, être publiée à la diligence de l’acquéreur sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel le fonds est exploité (i) et sous forme d’extrait ou d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (ii).
La publication dans le journal d’annonce légal devra contenir, à peine de nullité (C. com., art. L. 141-13) :
- les date, volume et numéro de la perception du droit d’enregistrement et l’indication du bureau où ont eu lieu ces opérations ;
- la date de l’acte de cession ;
- les noms, prénoms et domiciles de l’ancien et du nouveau propriétaire ;
- la nature et le siège du fonds de commerce ;
- le prix stipulé, y compris les charges ou l’évaluation ayant servi de base à la perception des droits d’enregistrement ; et
- l’indication du délai de dix jours pour les oppositions et une élection de domicile dans le ressort du tribunal.
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