En procédure collective, une discipline s’impose à tous les créanciers en leur interdisant de poursuivre le débiteur dont le passif antérieur est désormais gelé, les obligeant à déclarer leurs créances entre les mains du mandataire-liquidateur dans les délais légaux.
Il y a deux principaux types de créanciers :
(i) Les créanciers antérieurs, c’est-à-dire les créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture de la procédure collective ; et
(ii) Les créanciers postérieurs, c’est-à-dire les créanciers dont la créance est née après le jugement d’ouverture de la procédure collective.
Dans cet article, nous allons nous intéresser aux créanciers antérieurs.
I. Le gel des créances antérieures
A. Quel est le principe en matière d’interdiction de paiement des créances antérieures au jugement ?
Le jugement d’ouverture de la procédure collective emporte, de plein droit :
(i) L’interdiction de payer toute créance antérieure au jugement d’ouverture ; et
(ii) L’interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L. 622-17 du Code de commerce.
Les créances antérieures visées sont, sauf exceptions spécifiquement visées par les textes, toutes les créances ayant leur origine antérieurement au jugement d’ouverture. La détermination de la date de naissance de la créance revêt par conséquent une très grande importance. La créance peut être chirographaire ou privilégiée, échue ou non, en rapport direct avec l’activité de l’entreprise ou non.
S’agissant des paiements relatifs aux créances antérieures, tous ceux effectués par le débiteur postérieurement à l’ouverture de la procédure tombent sous le coup de l’interdiction posée par l’article L. 622-7 du Code de commerce, quel qu’en soit le mode, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes (voir infra). De fait, il convient de considérer que le paiement effectué le jour même du prononcé du jugement d’ouverture tombe sous le coup de l’interdiction.
Toutes les modalités de paiement tombent sous le coup de l’interdiction : le paiement en espèces, le virement, les chèques, l’émission ou l’endossement d’une lettre de change. L’interdiction des paiements est ainsi applicable au retrait d’espèces par le débiteur après le jugement d’ouverture, ou encore au banquier décidant de payer un chèque émis après le jugement d’ouverture, pour le paiement d’une créance antérieure (Com. 19 janv. 1999, no 95-15.825, NP, APC 1999/5, n° 65).
B. Quels sont les tempéraments au principe d’interdiction de paiement des créances antérieures au jugement ?
1) Le paiement des créances alimentaires (article L. 622-7 I. alinéa 1er du Code de commerce)
La créance alimentaire est une somme d’argent qu’une personne est condamnée à verser à une autre dans le but de satisfaire à ses besoins vitaux, tels que la nourriture ou le logement. Il s’agit en pratique des pensions alimentaires (article 206 du Code civil) et des prestations compensatoires (article 270 du Code civil)
Ces créances, antérieures ou postérieures, ne subissent pas l’interdiction des paiements et sont également dispensées de déclaration au passif de la procédure collective (article L.622-24 du Code de commerce), toutefois, elles subissent le principe d’interdiction des poursuites.
Par conséquent, les créanciers alimentaires subissent donc un régime très paradoxal. Ils échappent à l’interdiction des paiements des créances antérieures, mais ils restent soumis au principe d’interdiction des poursuites. Par conséquent, ils peuvent être payés par le débiteur après l’ouverture d’une procédure collective, sans pouvoir toutefois le poursuivre.
2) Le paiement des créances superprivilégiées des salariés (article L. 625-8 du Code de commerce)
Les créances superprivilégiées des salariés correspondent aux salaires des 60 jours précédant le jugement d’ouverture. Lorsque le débiteur dispose des fonds, les salaires non réglés doivent être payés dans les 10 jours suivant l’ouverture et, à défaut d’avoir les fonds, sur les premières rentrées d’argent (article L. 625-8 du Code de commerce).
Dans le cas où le débiteur ne disposerait pas des fonds, l’Association nationale pour la Gestion des régimes des créances des Salariés (AGS), un système de garantie, avancera les sommes. L’AGS est chargée d’assurer le respect des droits des salariés à bénéficier du super-privilège dans le rang de paiement des créances.
3) Le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à réaliser certains actes dont compromettre ou transiger (article L. 622-7 II. du Code de commerce)
Après avoir recueilli l’avis du ministère public, le juge-commissaire peut notamment :
- ♣ Autoriser un paiement aux fins de désintéressement d’un créancier revendiquant
Le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à payer la créance du prix de vente d’un bien qui lui a été vendu sous clause de réserve de propriété avant le jugement d’ouverture de la procédure, de manière à s’assurer la propriété de ce bien.
Ici, le prix d’achat du bien est une créance antérieure et le créancier impayé est toujours propriétaire du bien donc il peut le revendiquer.
Si ce bien est utile pour la poursuite d’activité du débiteur en difficulté, le juge-commissaire va autoriser le débiteur à payer le créancier revendiquant afin de bloquer son action en revendication.
- ♣ Autoriser un paiement aux fins de désintéressement d’un rétenteur
L’article L. 622-7, II, C. com. dispose que « le juge-commissaire peut aussi autoriser le débiteur à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue ou encore pour obtenir le retour de biens et droits transférés à titre de garantie dans un patrimoine fiduciaire, lorsque ce retrait ou ce retour est justifié par la poursuite de l’activité. ».
Plus concrètement, il peut s’agir :
D’un créancier antérieur bénéficiaire d’un gage avec dépossession ; ou
D’un créancier antérieur exerçant un droit de rétention ; ou encore
Du bénéficiaire d’une fiducie avec dépossession.
Ce créancier a le bien concerné entre ses mains et n’est plus payé. De fait, il refuse de restituer le bien au débiteur. Comme pour le cas du créancier revendiquant, si le bien concerné est indispensable à la poursuite de l’activité du débiteur, le juge-commissaire peut l’autoriser à payer afin d’en obtenir la restitution.
Attention, cela ne concerne pas le créancier gagiste sans dépossession.
- ♣ Autoriser un paiement aux fins de désintéressement du crédit-bailleur
Le crédit-bail est défini comme « un mode de financement des investissements : c’est l’équivalent pour les entreprises de la location avec option d’achat. Mieux connue sous le nom de » leasing « , il s’agit d’une opération financière par laquelle un établissement de crédit dénommé le « crédit-bailleur » donne en location à un crédit-preneur des biens d’équipement, tels, qu’un fonds de commerce, de l’outillage, une voiture, un parc automobile ou des biens immobiliers. » (Dictionnaire juridique, dictionnaire du droit privé, Serge Braudo).
Il s’agit du cas où le contrat de crédit- bail est conclu avant l’ouverture de la procédure, est poursuivi au cours de la période d’observation et arrive à son terme durant cette période d’observation.
Pour lever l’option d’achat, le crédit-preneur, doit payer la valeur résiduelle et apurer les dettes inhérentes au contrat, y compris les loyers échus impayés antérieurs à l’ouverture de la procédure.
Cette dette de loyer, étant une créance antérieure, est normalement soumise à l’interdiction des paiements.
Toutefois, comme dans les cas précédemment exposés, le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à désintéresser le crédit- bailleur quand ce paiement permet de lever l’option d’achat du crédit-bail et qu’il est justifiée par la poursuite de l’activité.
4) Le paiement d’une créance antérieure par la compensation de créances connexes (article L. 622-7, I, alinéa 1er du Code de commerce)
Par définition, la compensation de créances est un mode d’extinction de la créance qui suppose que les deux parties soient réciproquement créancières et débitrices l’une de l’autre.
Si les créances réciproques sont de même nature, la compensation emporte leur extinction simultanée, jusqu’à concurrence de la plus faible.
En principe, la compensation des dettes est interdite après l’ouverture du jugement ouvrant la procédure collective.
Toutefois, la compensation de créances reste possible sous conditions :
i. Les créances doivent avoir le même fondement, c’est-à-dire être unies par un lien de connexité ;
ii. Les créances doivent être réciproques ; et
iii. Les créances doivent être nées avant le jugement d’ouverture de la procédure collective.
POINTS POSITIFS DE LA COMPENSATION ✅ |
POINTS NÉGATIFS DE LA COMPENSATION ❌ |
Un mode d’extinction des obligations qui permet d’éviter deux opérations distinctes de paiement |
La diminution des actifs de l’entreprise débitrice |
Elle permet de réduire le risque d’insolvabilité du débiteur |
Elle se heurte au principe d’égalité des créanciers en satisfaisant l’un d’eux au détriment des autres |
Au regard des aspects négatifs de la compensation parfois pointés du doigt par la doctrine, la compensation des dettes connexes est exclue lorsque le créancier cherche à compenser sa créance avec la dette de restitution d’une somme d’argent mise à sa charge à la suite de l’annulation d’une opération conclue au cours de la période suspecte (Cass. com., 13 avr. 2022, n° 20-22.389).
En effet, le produit des actions en nullité de la période suspecte constitue l’actif du débiteur, destiné au désintéressement des créanciers. Par principe, la supériorité de l’intérêt collectif des créanciers prime.
C. Quelles sont les sanctions en cas de non-respect du principe d’interdiction de paiement des créances antérieures ?
« Tout acte ou tout paiement passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public, présentée dans un délai de trois ans à compter de la conclusion de l’acte ou du paiement de la créance. Lorsque l’acte est soumis à publicité, le délai court à compter de celle-ci » (article L.622-7 III. du Code de commerce).
Plus clairement, trois conditions sont nécessaires pour obtenir l’annulation de paiements de créances antérieures :
i. Un acte ou un paiement violant le principe du gel des créances antérieures ;
ii. Une demande d’annulation de tout intéressé ou du ministère public ; et
iii. Une demande présentée dans un délai de trois ans suivant l’acte frauduleux.
II. La suspension des poursuites individuelles
Le jugement d’ouverture produit des conséquences sur les créanciers, quelle que soit la procédure collective ouverte, en ce qui concerne l’exercice de certaines actions en justice ou procédures.
Les créanciers antérieurs sont soumis à trois règles issues du principe d’égalité entre créanciers : l’arrêt des poursuites individuelles, l’arrêt du cours des intérêts et l’interdiction des inscriptions. Dans cet article, nous nous concentrons sur l’arrêt de poursuites individuelles.
Le point de départ de l’arrêt des poursuites individuelles contre le débiteur soumis à la procédure collective est le jour du jugement d’ouverture, rétroactivement à 0h00.
La suspension des poursuites dure pendant toute la période d’observation et sur toute la durée du plan.
Cette règle tend à éviter que certains créanciers puissent obtenir paiement de leur créance au détriment des autres.
Qu’est-ce que comprend le terme de « poursuites individuelles » ?
Elle comprend l’arrêt des actions (A) mais également l’arrêt des procédures d’exécution et de distribution (B) initiées à l’encontre du débiteur en procédure collective.
A. L’arrêt des actions en justice initiées par les créanciers
En principe, selon l’article L. 622-21 I. du Code de commerce, le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers précédemment cités, tendant à :
i. La condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; et
ii. La résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.
Toutefois, le domaine de l’article L. 622-21 précédemment cité étant limité, certaines actions y échappent, telles que :
- o les actions en résolution d’un contrat pour une autre cause que le défaut de paiement d’une somme d’argent ;
- o les actions en nullité ou en inopposabilité lorsque l’obligation de restitution à la charge du débiteur ne porte pas sur une somme d’argent ;
- o les actions n’emportant pas d’obligation de paiement à l’encontre du débiteur (action en condamnation du débiteur à une obligation de faire) ; ou encore
- o les actions en revendication qui font l’objet d’un dispositif complet et distinct.
L’interruption n’est que temporaire, la reprise d’instance aura lieu lorsque le créancier aura déclaré sa créance à la procédure (article L. 622-22 du Code de commerce).
Toutefois, elle ne pourra avoir pour objet que d’établir la créance dans son existence et son montant. Donc, cela ne signifie pas que la créance pourra être payée (Cass. com., 4 avr. 2006, n°05-10.416).
B. L’arrêt des procédures d’exécution et de distribution
Toujours selon l’article L. 622-21, I. du Code de commerce, le jugement d’ouverture :
i. Arrête ou interdit toute procédure d’exécution tant sur les meubles que sur les immeubles. Sont concernés les biens propres du débiteur mais également les biens communs s’il est marié sous le régime de la communauté légale ; et
ii. Arrête ou interdit toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.
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Très intéressant merci