Dans quel cadre peut-on voir prononcer des sanctions personnelles ?
C’est dans le cadre de l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire que des sanctions personnelles peuvent être prononcées à l’encontre du chef d’entreprise.
Les mesures de sanctions personnelles tendent à écarter le professionnel malhonnête, particulièrement incompétent et fautif, ayant délibérément conduit son entreprise à sa perte.
Elles peuvent être cumulées avec des sanctions pénales (banqueroute, abus de bien social…).
Qui peut encourir des sanctions personnelles ?
Selon l’article L. 653-1 du Code de commerce, plusieurs catégories de personnes peuvent être condamnées à des sanctions personnelles :
i. Les personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, les agriculteurs et toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
ii. Les personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ; et
iii. Les personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales.
Qui peut agir en sanctions personnelles et dans quel délai ?
Les actions en sanctions peuvent être initiées par le mandataire, par le liquidateur judiciaire ou encore par le ministère public (L. 653-7, al.1er du Code de commerce).
Les actions peuvent également être intentées, dans l’intérêt des créanciers de la procédure, par les créanciers nommés contrôleurs (L. 653-7, al. 2 du Code de commerce), sous conditions. Au moins deux créanciers contrôleurs doivent mettre en demeure le mandataire de justice, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, d’engager l’action en sanction. Cette mise en demeure doit rester infructueuse pendant deux mois à compter de sa réception (R. 653-2 du Code de commerce).
Le tribunal ou l’administrateur judiciaire, eux, n’ont pas la capacité d’agir.
L’action en sanctions personnelles se prescrit par trois ans à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective (L. 653-1, II du Code de commerce). Cette prescription est également valable dans les cas de conversion d’un redressement en liquidation judiciaire (Com. 4 nov. 2014, n°13-24.028).
Quel est le tribunal compétent en matière de mesures de sanctions personnelles ?
Le tribunal compétent pour prononcer les mesures de sanctions personnelles est celui ayant ouvert la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire de l’entreprise (R. 662-3 du Code de commerce).
Le tribunal doit motiver sa décision, tant sur le principe, que sur le quantum de la sanction au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l’intéressé (Com. 17 avr. 2019, n°18.11-743).
La durée de la mesure ne peut en aucun cas excéder 15 ans.
Le juge est également libre du choix du type de sanction entre la faillite personnelle (I.) ou l’interdiction de gérer (II.).
I. LA FAILLITE PERSONNELLE (L. 653-1 du Code de commerce)
Quelles sont les différents cas permettant le prononcé d’une sanction de faillite personnelle ?
Ici, nous allons nous pencher sur les cas propres aux dirigeants de personnes morales, mais également les cas communs à tout type de dirigeant ou de débiteur.
LES CAS PROPRES AUX DIRIGEANTS DE PERSONNES MORALES
Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres (C.com., art. L. 653-4, 1°) |
Par exemple, un dirigeant qui se verse indument sur son compte personnel des fonds de la société, ou encore des travaux effectués par la société ou avec du matériel de l’entreprise pour son compte personnel. |
Avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements (C.com., art. L. 653-4, 2°) |
Cela signifie que le dirigeant se « sert » de la société qu’il dirige, de façon répétitive, pour qu’elle agisse dans un intérêt qui lui est strictement personnel. Les actes de commerce sont définis par l’article L. 110-1 du Code de commerce. Cela correspond notamment à la signature de lettres de change ou encore aux cautionnements de dettes commerciales. |
Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement (C.com., art. L. 653-4, 3°) |
Concrètement, le dirigeant doit avoir accompli des actes d’administration au nom de la société, sans prendre en compte l’intérêt social. Cela s’apparente à l’infraction pénale d’abus de bien social. Par exemple, le fait d’avoir payé une autre société dans laquelle le dirigeant était personnellement et directement intéressé. |
Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale (C.com., art. L. 653-4, 4°) |
Ici, le législateur veut réprimer la poursuite de l’activité de la société dans un but souvent égoïste du dirigeant qui ne prend pas en compte les difficultés éprouvées par la société. Ici, le Tribunal devra étudier les circonstances entourant la poursuite dite abusive. |
Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale (C.com., art. L. 653-4, 5°) |
Le détournement correspond à la vente des éléments du patrimoine du débiteur pour qu’il ne rentre plus dans le patrimoine de la procédure collective. La dissimulation inclut le fait de cacher les éléments, sans pour autant s’en débarrasser. L’augmentation frauduleuse est caractérisée quant à elle, par la reconnaissance de dettes fictives au passif de la société. |
LES CAS COMMUNS À TOUS LES DIRIGEANTS
Le défaut d’acquittement de la contribution à l’insuffisance d’actif (C.com., art. L.653-6) |
Cela correspond au cas où un dirigeant s’est abstenu de supporter la part d’insuffisance d’actif de son activité en liquidation judiciaire, causée par ses fautes de gestion. Ce cas de condamnation en faillite personnelle en fait le prolongement possible de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (C.com., L.651-1) |
L’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole ou d’une fonction de direction ou d’administration d’une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi (C.com., art. L. 653-5, 1°) |
Il vise les débiteurs ou dirigeants ayant exercé des activités commerciales ou des fonctions de direction ou d’administration alors qu’une disposition légale particulière leur interdisait expressément. |
Le maintien artificiel de l’entreprise défaillante (C.com., art. L. 653-5, 2°) |
Plus concrètement, le débiteur, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture d’une procédure collective, fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours ou emploie des moyens ruineux pour se procurer des fonds. Par exemple, un recours excessif à des établissements de crédit ou à des prêteurs privés (Cass. com., 28 janv. 2004, n° 01-01.369) |
La souscription pour le compte d’autrui d’engagements trop importants eu égard à la situation de l’entreprise (C.com., art. L. 653-5, 3°) |
Cela correspond à la souscription d’engagements excessifs, pour le compte d’autrui, sans contrepartie pour le débiteur. Par exemple, se porter caution pour un tiers alors que le débiteur n’en a pas la capacité financière. |
Le paiement préférentiel d’un créancier (C.com., art. L. 653-5, 4°) |
C’est un paiement réalisé par le débiteur au préjudice des autres créanciers, causant ainsi une rupture d’égalité. Il faudra établir que le paiement est intervenu après la cessation des paiements (i), causant ainsi un préjudice aux autres créanciers (ii) mais également que le débiteur ou le dirigeant a agi en connaissance de cause de cet état de cessation des paiements (iii). |
L’abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure (C.com., art. L. 653-5, 5°) |
Ce cas de faillite personnelle étant d’interprétation très large, la Cour de cassation exerce un contrôle rigoureux sur l’existence de l’élément intentionnel de la non-coopération (i) et sur l’obstacle au bon déroulement de la procédure (ii). Par exemple, la simple carence ne suffit pas. A contrario, un dirigeant qui s’est abstenu de répondu aux multiples sollicitations du mandataire judiciaire ou du liquidateur, sans fournir d’explications sérieuses, caractérise le grief. |
Les irrégularités comptables (C.com., art. L. 653-5, 6°) |
Cela correspond à la disparition des documents comptables, à une comptabilité absente, fictive, ou encore manifestement incomplète ou irrégulière. Dans le cas d’une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, l’emploi de l’adverbe « manifestement » traduit la nécessité de ne retenir que les manquements les plus graves. Les juges du fond doivent déterminer très précisément les anomalies et les lacunes de la comptabilité en question, en décrivant avec précisions les différents manquements. À défaut, la sanction ne pourra être retenue pour manque de base légale. |
La déclaration faite sciemment, au nom d’un créancier, d’une créance supposée (C.com., art. L. 653-5, 7°) |
Il faut envisager la déclaration d’une créance inexistante ou hypothétique. En effet, dans le contexte de la procédure collective, le débiteur peut déclarer sa créance pour le créancier et, à cet égard, tenter de favoriser l’un d’eux. |
Quelles sont les effets du prononcé de la faillite personnelle ?
Le prononcé d’une faillite personnelle emporte, pour le dirigeant ou l’entrepreneur, interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale ou ayant toute autre activité indépendante, toute exploitation agricole et toute personne morale, quelle que soit son activité (L. 653-2 du Code de commerce).
Elle emporte également la radiation d’office du registre du commerce ou du répertoire des métiers (R. 123-8 du Code de commerce).
Les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle en cas de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif (L. 623-11 III. du Code de commerce).
La condamnation à la faillite personnelle peut emporter l’incapacité d’exercer une fonction publique élective (article. L. 653-10 du Code de commerce). Le juge a le choix de décider ou non cette incapacité complémentaire, mais pas celui de sa durée. La loi impose que la durée de la faillite personnelle et celle de l’incapacité ne dépasse pas 5 ans.
Pour finir, le droit de vote du dirigeant frappé de faillite personnelle est exercé, dans les assemblées des personnes morales soumises à une procédure collective, par un mandataire désigné par le tribunal, à la requête de l’administrateur, du liquidateur ou du commissaire à l’exécution du plan (L. 653-10 du Code de commerce).
II. L’INTERDICTION DE GÉRER (L. 653-8 du Code de commerce)
Le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Quelles sont les différents cas permettant le prononcé d’une sanction d’interdiction de
gérer ?
L’omission de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements (C.com., art. L. 653-8, al. 3)
Depuis la réforme de 2005, l’interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre de tout débiteur pouvant y être soumis, ayant sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements.
Cela suppose d’établir le caractère volontaire de l’omission, découlant de deux faits à
constater : l’état de cessation des paiements, c’est-à-dire ne pas pouvoir faire face à son passif exigible avec son actif disponible (i), et l’obligation légale de demander l’ouverture de la procédure collective dans le délai de 45 jours (ii).
Toutefois, il existe une alternative légale à cette sanction : la possibilité, dans le même délai de quarante-cinq jours, de solliciter une procédure de conciliation (L. 611-4 du Code de commerce), qui opère, si elle est choisie, les mêmes effets qu’un fait justificatif en matière pénale et permet de ne pas retenir l’omission.
1️Attention, cette alternative ne joue pas si la procédure a été ouverte sur requête du ministère public ou assignation d’un créancier, l’obligation de déclarer la cessation des paiements étant personnellement mise à la charge du débiteur.
Le défaut de remise de documents et de communication avec les organes de la procédure (C.com., art. L. 653-8, al. 2)
L’interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre d’un débiteur qui, de mauvaise foi, n’aurait pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6, soit la liste de ses créanciers, le montant de ses dettes et de ses principaux contrats en cours ou encore la liste des instances en cours auxquelles il est partie, dans le mois suivant le jugement d’ouverture d’une procédure collective.
Ici, la mauvaise foi doit être établie, ce qui suppose, a minima, que le débiteur sache que les documents doivent être remis, et qu’il ait la volonté de ne pas s’exécuter en ayant conscience de perturber le bon déroulement de la procédure.
Le manquement à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L.622-22 (C.com., art. L. 653-8, al. 2)
Ce cas d’interdiction de gérer a été introduit par l’ordonnance du 12 mars 2014.
Il repose sur le manquement à l’obligation pour le débiteur partie à une instance, que le jugement d’ouverture va interrompre, de prévenir le créancier poursuivant de l’ouverture de la procédure collective dans les 10 jours de l’ouverture.
Comme précédemment, la mauvaise foi est exigée.
Quelles sont les effets du prononcé d’une interdiction de gérer ?
L’interdiction de gérer entraîne les mêmes conséquences que la faillite, à quelques différences près :
- • L’exercice d’activités indépendantes n’est pas interdit, sauf sous la forme d’une personne morale ;
- • Le tribunal prononçant l’interdiction de gérer peut en limiter son étendue à certaines entreprises ou certains types d’activités ; et
- • Les créanciers ne recouvrent pas leur droit de poursuite individuelle en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.
III. PEUT-ON TRANSIGER EN MATIÈRE DE SANCTIONS PERSONNELLES ?
La question s’est posée sur la possibilité de transiger sur les sanctions professionnelles.
Il a été jugé qu’une transaction ne peut avoir pour objet de faire échec, moyennant le paiement d’une certaine somme ou l’abandon d’une créance, aux actions tendant au prononcé d’une sanction professionnelle (Com. 9 déc. 2020, n° 19-17.258).
En principe, l’’article 2045 du Code civil dispose que « pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction. »
Dans le cadre d’une procédure collective, le mandataire de justice ne peut disposer à sa guise des mesures de faillite personnelle et d’interdiction prévues par les articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce. En effet, ces mesures ne tendent pas à la protection de l’intérêt collectif des créanciers, assurée par le mandataire, mais à celle de l’intérêt général, et il s’agit de mesures à la fois de nature préventive et punitive.
Par conséquent, la transaction ne pouvait avoir pour objet de faire échec, moyennant le paiement d’une certaine somme ou l’abandon d’une créance, aux actions tendant au prononcé d’une sanction professionnelle.
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