En application de l’article L. 651-2 du Code de commerce, seules les fautes de gestion qui ne sont pas de simples négligences sont susceptibles d’entraîner la responsabilité pour insuffisance d’actif des dirigeants de droit ou de fait.
Une action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne pourra être engagée que pour des fautes intentionnelles ou d’une particulière gravité.
Il est précisé que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée à l’encontre du dirigeant de droit ou de fait ne peut l’être que dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire.
C’est le Tribunal qui appréciera le degré de gravité de la faute de gestion et son intentionnalité, ainsi que la caractérisation du lien de causalité avec l’insuffisance d’actif.
Quelques exemples de fautes de gestion sanctionnées vont être donnés dans cet article afin d’alerter les dirigeants qui nous lisent.
- Sur l’omission volontaire de la déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours
Un dirigeant a l’obligation de déclarer la cessation des paiements de son entreprise dans un délai de 45 jours suivant la date de cessation (article L. 631-4 du Code de commerce).
A défaut, il pourrait lui être reproché une déclaration tardive de la cessation des paiements, à la condition qu’elle ait été faite sciemment donc en connaissance de cause.
Mais que veut dire ce « sciemment » ?
Selon la jurisprudence :
- Le dirigeant doit être conscient de cette violation du délai légal de déclaration.
Il faut pouvoir déterminer le moment où le dirigeant a pu avoir conscience de la cessation des paiements (par un faisceau d’indices). - La jurisprudence retient cette faute de gestion en raison de circonstances qui montrent que le dirigeant ne pouvait plus l’ignorer.
Exemples : impossibilité de payer la part patronale des cotisations sociales ; non-règlement de la TVA ; non-paiement des salaires quatre mois avant l’ouverture de la procédure collective.
Cette faute s’apprécie en comparant la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou de report par rapport à la date effective de dépôt de la déclaration de cessation des paiements par le dirigeant. Si le moment où le dirigeant a pu avoir connaissance de l’état de cessation des paiements de son entreprise est antérieur de plus de 45 jours par rapport à la date de cessation des paiements, la faute est caractérisée (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 janvier 2022, 20-21.427, Publié au bulletin).
- Sur la poursuite ou le maintien d’une activité déficitaire
La poursuite ou le maintien d’une activité déficitaire se caractérise par des actes contraires à l’intérêt de l’entreprise.
Exemples :
- « La poursuite d’activité déficitaire sur plusieurs années n’est pas une simple négligence mais une faute de gestion d’une particulière gravité, quand bien même le dirigeant aurait pris en charge certaines dettes de la société. Si ces mesures ne l’exonèrent pas de sa responsabilité, en revanche, elles permettent au juge de limiter sa condamnation pour insuffisance d’actif» (Cour d’appel de Paris, 5-9, 16 sept. 2021, n° 20/15132 : BJS déc. 2021, n° BJS200o3, note L. Fin-Langer).
- La cour d’appel de Versailles a jugé qu’un dirigeant a commis une faute de gestion contraire à l’intérêt social en tenant compte des circonstances suivantes : la poursuite d’une activité déficitaire postérieurement à l’adoption du plan, chiffres à l’appui, le versement au gérant d’une rémunération qui était excessive au regard des résultats de la société, alors que la société était en état de cessation des paiements, ce qu’il ne pouvait ignorer précisément au regard des résultats de la société, le détournement du fonds de commerce dans la mesure où il avait été cédé sans concertation avec les organes de la procédure, au mépris des dispositions légales régissant les cessions de fonds de commerce et que ce détournement d’actif cause un réel préjudice aux créanciers (Cour d’appel de Versailles, 25 janvier 2022, n° 21/05065).
- La cour d’appel de Versailles a également jugé qu’un dirigeant a commis une faute de gestion en gérant sa société dans un intérêt contraire à l’intérêt social et dans un intérêt personnelen tenant compte des circonstances suivantes : le dirigeant avait procédé à des retraits d’espèces, en période suspecte, pour un montant de 25.800 €, ainsi que des virements opérés au profit de tiers, pour un montant total de 56.788,61 €. Il n’y avait pas à proprement parler de poursuite ou maintien d’une activité déficitaire mais la preuve était rapportée que le dirigeant avait utilisé les fonds de la société dans un intérêt contraire à l’intérêt social, le montant et la répétition de ces prélèvements opérés sur la trésorerie sociale caractérisant non pas une négligence mais une faute de gestion ayant nécessairement contribué à l’insuffisance d’actif (Cour d’appel de Versailles, 25 janvier 2022, n° 21/05152).
Attention : l’existence d’une prétendue direction de fait n’est pas exonératoire de responsabilité pour un dirigeant de droit !
- Sur la tenue d’une comptabilité irrégulière ou incomplète
Un dirigeant est tenu par les obligations édictées par les articles L. 123-12 à L. 123-23 du Code de commerce.
Selon la Cour de cassation, la tenue d’une comptabilité irrégulière caractérise une faute de gestion et ne peut constituer une simple négligence dans la gestion de la société, car cela prive le dirigeant d’un outil de contrôle de la situation financière de l’entreprise.
C’est une jurisprudence constante.
La cour d’appel de Versailles a ainsi récemment jugé que : « le défaut de tenue d’une comptabilité quotidienne et régulière a nécessairement contribué à aggraver l’insuffisance d’actif dans la mesure où les dirigeants qui se sont privés d’un outil de gestion n’ont pu ainsi prendre la mesure des difficultés rencontrées par la société et y apporter le plus rapidement possible une réponse adaptée, en déclarant en particulier la cessation des paiements » (Cour d’appel de Versailles, 25 janvier 2022, n° 21/05065).
Il est précisé que la Cour de cassation impose que chaque faute de gestion invoquée soit justifiée.
Il faut donc établir un lien de causalité entre chaque faute de gestion et l’insuffisance d’actif.
Si les juges du fond retiennent plusieurs fautes de gestion imputables au dirigeant sans en apporter la démonstration, la Cour de cassation n’est pas en mesure de s’assurer de la proportionnalité de la condamnation par rapport aux fautes de gestion commises.
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