L’article L. 651-2 du Code de commerce introduit la possibilité pour le tribunal, en cas de prononcé d’une liquidation judiciaire, de rendre une décision à l’encontre du dirigeant afin de le condamner à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif si les conditions suivantes sont réunies à son égard :
- Le dirigeant doit avoir sciemment commis une faute de gestion ;
- Cette faute doit avoir causé un préjudice à la société, une insuffisance d’actif, c’est-à-dire qu’une entreprise n’a pas assez de liquidités pour désintéresser ses créanciers ; et
- Il doit y avoir un lien de causalité entre ces deux éléments : la faute doit avoir contribué à l’insuffisance d’actif.
Les dirigeants concernés par cette action sont :
- Les dirigeants de droit de la personne morale (gérant, président et membres du conseil d’administration, président et membres du directoire, directeurs généraux adjoints, mais pas les membres du conseil de surveillance) ; mais également
- Les dirigeants de fait de la personne morale (personne qui accomplit les mêmes actes de gestion que le dirigeant de droit sans être investie de ses fonctions), ainsi que les personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales (C.com., art. L. 651-1).
L’assignation en responsabilité pour insuffisance d’actif est une action réservée au mandataire judiciaire et au ministère public, elle n’est pas ouverte aux créanciers. Elle est introduite par voie d’assignation à l’encontre du dirigeant.
En conséquence, le dirigeant sera condamné à « combler » tout ou partie de l’insuffisance d’actif, c’est-à-dire à verser une somme destinée à être répartie entre les créanciers de la procédure.
En tant que dirigeant, puis-je essayer de transiger ?
Par principe, un dirigeant condamné en responsabilité pour insuffisance d’actif doit exécuter la condamnation dont il est l’objet, c’est-à-dire, acquitter les sommes qui ont été mises à sa charge par le Tribunal.
Toutefois, en vertu de l’article L.642-24 du Code de commerce, il arrive que le dirigeant à l’encontre duquel est envisagé ce type de sanctions se rapproche du liquidateur judiciaire aux fins de transiger, plutôt que de risquer de se voir condamner.
Le dirigeant peut tenter de transiger en trouvant un accord sur le montant de la condamnation prononcée pour éviter, ou tout du moins limiter, les risques d’une condamnation pécuniaire trop lourde.
La transaction a souvent fait débat dans la doctrine, malgré les avantages évidents qu’elle procure.
En effet, les assignations en responsabilité pour insuffisance d’actif sont souvent introduites peu de temps avant la prescription et durent de nombreuses années.
L’accord transactionnel permet d’obtenir le versement d’une somme forfaitaire, en contrepartie de l’abandon d’une action dont l’issue, en plus d’être incertaine, est longue et coûteuse (G. Teboul, Procédures collectives et sanctions pécuniaires : peut-on transiger sur une action en comblement de passif ? : Gaz. Pal. Rec. 2004, 2, doctr. p. 2824. – C. Delattre, Quelques précisions sur la notion de transaction en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif : Rev. proc. coll. 2012, n° 5, p. 22).
Il est à noter qu’en procédure de liquidation judiciaire, seul le liquidateur judiciaire a qualité pour solliciter, auprès du juge-commissaire, l’autorisation de transiger (C.com., art. R.642-41). Le débiteur, dessaisi, ne peut pas présenter de requête en transaction (Cass.com., 26 févr. 2020, n°18-21.117). À cet égard, il convient pour lui d’estimer les chances d’aboutir à un accord, dans l’intérêt des créanciers (CA Reims, 26 juin 2018, n° 18/00245 : RJDA 1/2019, n° 36). La Cour de cassation a posé des limites au pouvoir de transaction du liquidateur, même autorisé par le juge-commissaire. Ainsi, par exemple, il ne peut accorder à des créanciers n’ayant aucune garantie plus de droits qu’à un créancier disposant d’un nantissement sur le débiteur.
S’agissant du ministère public, au regard de l’article 425, 2° du Code de procédure civile, l’accord transactionnel doit lui être transmis (Lyon, 3e ch. A, 16 août 2018, n° 18/01718, Le rôle du ministère public dans le processus transactionnel d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, JCP E 2018. 1575, note C. Delattre).
La doctrine est unanime, il ne semble pas possible que le parquet, représentant du ministère public, ne soit pas informé et absent des débats devant le juge-commissaire et le tribunal. De plus, dès lors que l’intervention du ministère public a été effective devant le juge-commissaire et le tribunal et que la transaction a reçu son aval, il semblerait difficile qu’il puisse agir a posteriori sur le même fondement. (CA Toulouse, 2e ch., 2e sect., 2 juill. 2013, RG n° 12/01788 : JurisData n° 2013-013971, Le liquidateur peut préférer une transaction plutôt que d’engager une action en sanction patrimoniale, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 46, 14 novembre 2013, 1610, note C. Delattre).
Quelles sont les sanctions sur lesquelles il est possible de transiger ?
Dans le cadre d’une assignation en responsabilité pour insuffisance d’actif, plusieurs types de condamnations peuvent être sollicitées par l’auteur de la demande, outre le comblement du passif, telles que :
- Des sanctions professionnelles : la faillite personnelle et/ou l’interdiction de gérer (C.com., arts. L.653-1 à L.653-11) ; et
- Des sanctions pénales : la banqueroute (C.com., arts. L.654-1 à L.654-7) et/ou d’autres infractions prises isolément (C.com., arts. L.654-8 à L.654-15).
Dans le cadre d’une assignation en responsabilité pour insuffisance d’actif, la transaction ne peut avoir pour objet de faire échec aux actions tendant au prononcé d’une sanction professionnelle ni pénale. La transaction ne peut porter que sur les sanctions pécuniaires.
En effet, l’article 2045, alinéa 1er du Code civil dispose qu’il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction.
À cet égard, les mesures de faillite personnelle et les autres mesures d’interdiction énoncées par les articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce, ne tendent pas à la protection de l’intérêt collectif des créanciers mais à celle de l’intérêt général, il s’agit de mesures à la fois de nature préventive et punitive. De fait, il a été jugé que si la transaction pouvait mettre fin à l’action en paiement de l’insuffisance d’actif, elle ne pouvait avoir pour objet de faire échec, moyennant le paiement d’une certaine somme ou l’abandon d’une créance, aux actions tendant au prononcé d’une sanction professionnelle (Cass. Com., 9 déc. 2020, n°19-17.258 : JurisData n° 2020-020173 ; JCP E 2021, 1191, n° 21, obs. Ph. Pétel).
Dans quel délai puis-je essayer de transiger ?
La Cour de cassation encadre strictement le délai dans lequel la transaction peut être effectuée, à savoir après l’assignation et avant le prononcé du jugement. Pour la chambre commerciale, la transaction est impossible quand une condamnation, définitive ou non, est intervenue (sous l’empire de l’article L. 624-3 ancien du Code de commerce , V. Cass. com., 5 nov. 2003, n° 00-11.876 : JurisData n° 2003-020807 ; Bull. civ. IV, n° 164 ; D. 2003, AJ p. 2831 ; RJDA 2/2004, n° 207)
Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises la validité de cette transaction en précisant que « l’insuffisance d’actif ne peut être mise, en tout ou partie, à la charge d’un dirigeant qu’à la suite d’une assignation de celui-ci à cette fin et seulement par une décision de condamnation ou, avant l’intervention d’une telle décision, par une transaction ». (Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-16.005, F-P+B+I, Emmanuel X. c/ Julien Y. et a. : JurisData n° 2017-003958 ; JCP E 2017, 1242)
En conclusion, il s’avère que si la transaction après la condamnation du dirigeant est impossible, la transaction avant toute condamnation est régulièrement proposée lorsque le liquidateur judiciaire en apprécie l’opportunité.
Quelles sont les conditions de validité d’un accord transactionnel ?
Dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, la transaction est soumise à deux conditions :
- Une autorisation du juge-commissaire
L’article L. 642-24 alinéa 1er du Code de commerce dispose que « Le liquidateur peut, avec l’autorisation du juge-commissaire et le débiteur entendu ou dûment appelé, compromettre et transiger sur toutes les contestations qui intéressent collectivement les créanciers même sur celles qui sont relatives à des droits et actions immobiliers ».
Le greffier va convoquer le débiteur à une audience devant le juge-commissaire, et le cas échéant devant le Tribunal, quinze jours avant celle-ci, en joignant à cette convocation la copie de la requête du liquidateur qui souhaite compromettre ou transiger (C.com., art. R.642-41).
Une question se pose quant à la formalisation de la transaction : les parties peuvent-elles la valider sous condition d’autorisation par le juge commissaire ou est-il préférable d’attendre l’autorisation du juge commissaire pour signer la transaction ?
Par principe, la Cour de cassation considère que si l’une des parties rétracte son accord avant l’autorisation du juge-commissaire, ce dernier ne peut plus valablement statuer sur la transaction (Cass., com. 20 janv. 2021, n°19-20.076).
- L’homologation de l’accord transactionnel par le tribunal
L’article L. 642-24 alinéa 2 du Code de commerce dispose que : « Si l’objet du compromis ou de la transaction est d’une valeur indéterminée ou excède la compétence en dernier ressort du tribunal, le compromis ou la transaction est soumis à l’homologation du tribunal. »
La transaction est soumise à l’homologation du tribunal qui vérifie a posteriori que l’ordonnance du juge commissaire autorisant ladite transaction a été respectée.
L’homologation porte sur l’acte en lui-même, soit l’accord transactionnel, et non sur l’ordonnance du juge-commissaire l’ayant autorisé (CA Reims, 5 juin 1996 : Rev. proc. coll. 1999, p. 176, obs. P. Canet).
Il a été jugé qu’une transaction autorisée par le juge-commissaire et homologuée par le tribunal pouvait être résolue si le dirigeant condamné n’honorait pas ses engagements (CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 10 mai 2012, n° 2012/337 : JurisData n° 2012-013089 ; Rev. proc. coll. 2013, comm. 176 , note A. Martin-Serf).
Également, la transaction conclue sans l’autorisation du juge-commissaire et sans l’homologation du tribunal encourt la nullité absolue qui peut être invoquée par tout intéressé, sans qu’il soit tenu de justifier d’un grief (Com. 10 déc. 2002, no 99-21.411, P IV, no 192 ; D. 2003. AJ 134, obs. Lienhard).
Un recours est-il possible contre l’ordonnance du juge-commissaire autorisant une transaction, ou encore contre le jugement d’homologation de la transaction ?
Au regard de la combinaison des règles de la procédure civile et des procédures collectives, il a été jugé que l’ordonnance du juge commissaire qui autorise la transaction, et le cas échéant, le jugement qui l’homologue, peuvent faire l’objet des recours admis en procédures collectives, sous les limites habituelles et notamment le fait que les créanciers sont représentés par le liquidateur judiciaire et ne sont pas recevables à exercer des recours par eux-mêmes (Cass. Com., 9 oct. 2019, n°18-12.162 et 18-12.592).
À cet égard, il convient clairement de distinguer l’ordonnance du juge commissaire qui autorise la transaction et le jugement qui homologue la transaction régularisée sur le fondement de l’ordonnance du juge commissaire, qui peuvent l’objet de recours distincts et sont parfaitement dissociables (Cass., com. 24 mars 2014, n°01-11.785).
L’ordonnance du juge-commissaire peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal de la procédure collective dans les dix jours de la communication ou de la notification, par déclaration faite contre récépissé ou adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au greffe (C. com., art. R. 621-21, al. 4).
Le jugement d’homologation, quant à lui, peut faire l’objet d’un appel de droit commun (CPC art. 543), depuis que la Cour de cassation a admis l’autorité de la chose jugée du jugement d’homologation d’une transaction (Cass. com., 19 oct. 1993, n° 91-20.634 : JurisData n° 1993-002132 ; Rev. proc. coll. 1999, p. 178 , obs. P. Canet. – V. également : G. Bolard, Rapport de synthèse, La procédure dans les faillites, Colloque du CRAJEFE, 25 avr. 1998, Redressement et liquidation judiciaires, questions procédurales, Université de Nice-Sophia-Antipolis, p. 183).
Toutefois, l’appel est ouvert aux seules parties à la transaction (CA Versailles, 12 oct. 1995, n° 5407/95 : JurisData n° 1995-051870 ; Rev. proc. coll. 1999, p. 177, obs. P. Canet).
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