L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif concerne les dirigeants en fonction à la date d’ouverture de la procédure collective (dirigeants de droit), ainsi que les dirigeants de fait (non inscrits sur l’extrait K-bis de l’entreprise), mais également ceux dont la démission est intervenue alors que la situation de la société était d’ores et déjà irrémédiablement compromise.
Dans quelles conditions la responsabilité pour insuffisance d’actif du chef d’entreprise démissionnaire peut-elle être recherchée par le liquidateur judiciaire ?
Ici, nous parlerons des conditions globales d’engagement de la responsabilité pour insuffisance d’actif d’un dirigeant.
À cet égard, l’article L. 651-2 du Code de commerce dispose que :
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. »
Deux conditions ressortent :
- Le dirigeant doit avoir commis une ou plusieurs faute(s) de gestion ; et
- Cette/ces faute(s) de gestion doi(ven)t avoir contribué à l’insuffisance d’actif.
De la même façon que pour tout dirigeant, pour solliciter la condamnation du dirigeant démissionnaire à combler l’insuffisance d’actif, il faut qu’une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif puisse lui être imputée (Com. 22 mai 2013, n° 12-14.956, NP, n° 513 F-D) et ce, même si lors de son retrait, il n’y avait pas encore cessation des paiements (Com. 27 févr. 2007, n° 05-20.038, NP, n° 362 F-D).
Il appartient au liquidateur de démontrer que le dirigeant de droit a personnellement commis la faute de gestion qu’il lui reproche (Com., 27 nov. 2019, n°17-26.634).
Les fautes retenues à l’encontre d’un dirigeant démissionnaire sont celles habituellement retenues, telles que l’absence de dépôt des comptes annuels, l’absence de tenue d’une comptabilité, le dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements… De fait, la gravité des faits doit alors être caractérisée.
Plusieurs exemples peuvent être donnés :
- Il a été jugé que la condamnation d’un co-gérant démissionnaire à supporter une partie de l’insuffisance d’actif était justifiée du fait de son désintérêt revendiqué pour la gestion de sa société en liquidation et l’omission d’en déclarer l’état de cessation des paiements (Cass. com., 8 avr. 2021, nº 19-25.802, D).
- L’ancien gérant d’une société à responsabilité limitée a été condamné au titre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, dès lors qu’il avait été constaté que le bilan établi sous sa gestion avait fait apparaître une perte égale à quatre fois le capital social (Cass. com., 8 juin 1982, n°81-10.217).
- Un dirigeant démissionnaire n’ayant contribué par sa faute de gestion, qu’à une simple aggravation de l’insuffisance d’actif, déjà importante, peut être condamné à prendre en charge tout ou partie du passif (Cass. com., 4 juill. 2018, no 17-14.575, Bull. Joly Sociétés 2018, p. 649, note L. Fin-Langer).
A contrario, l’attitude du dirigeant ou encore la situation de la société lors de son départ peuvent justifier l’absence de condamnation. Plusieurs exemples peuvent être cités :
- La Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel ayant condamné un ancien dirigeant à combler le passif social de sa société sur constatation d’un exercice clos deux mois avant son retrait faisait apparaître une perte nette mois, au motif qu’elle n’a pas suffisamment caractérisé l’existence, au moment du départ de l’intéressé, de la situation qui avait provoqué quelques mois plus tard la cessation des paiements de l’entreprise (Cass. com., 11 juill. 1983, n°82-12.646).
- Un dirigeant ne saurait être tenu pour responsable de l’absence de remise au liquidateur des registres sociaux, alors qu’à la date d’entrée en fonction du liquidateur, il n’était plus dirigeant depuis près d’un an. Il ne peut pas non plus être tenu pour responsable de la poursuite d’une activité déficitaire et de retards de paiement en matière fiscale et sociale, dès lors que la date retenue pour la cessation des paiements de la société est postérieure de plus de trois mois à celle de la cessation de ses fonctions (CA Versailles, 22 avr. 2003, Siroli c/Me Souchon, RJDA 2003, n°1217).
Quid des dispositions particulières propres au dirigeant n’étant plus en fonction au jour du jugement d’ouverture ?
- Une condamnation pour des faits antérieurs à sa démission
Par principe, le dirigeant peut être condamné pour des faits antérieurs à sa démission, même s’il n’est plus en fonction au jour du jugement d’ouverture.
Il a été jugé que la condamnation du dirigeant pouvait intervenir alors que trois années s’étaient écoulées entre sa démission et l’ouverture de la procédure collective. Le fait que son retrait soit antérieur de plus de trois ans au jugement ayant arrêté le plan de continuation reste sans effet sur la prescription de l’action en comblement de passif, qui continue à courir à compter de ce jugement d’ouverture.
En l’espèce, ce dernier avait volontairement contribué à créer l’insuffisance d’actif de sa société, avant son départ en affichant des prévisions exceptionnellement optimistes pour les besoins de la reprise de l’entreprise par des investisseurs, et en réalisant des prises de marchés à perte (Caen, 14 févr. 2008, RG n° 06/01882 ; Bull. Joly 2008. 611, note Voinot).
- L’incidence de la publication de la démission du dirigeant sur l’action en responsabilité initiée par le mandataire
Il est acquis, de longue date, que le dirigeant démissionnaire peut être poursuivi en responsabilité pour insuffisance d’actif et ce même si sa démission n’a pas fait l’objet de publicité au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) (Cass. com., 14 oct. 1997, n°95-15.384, Bull.).
Ce principe a récemment été rappelé, spécifiquement pour des faits commis postérieurement à la cessation des fonctions, en affirmant, au visa de l’article L.123-9 du Code de commerce, que l’inopposabilité des actes qui n’ont pas été publiés au RCS ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu la responsabilité personnelle du dirigeant sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce (Cass. com., 16 juin 2021, n°20-15.399, Bull. Joly Sociétés nov. 2021, p. 31, note A. Cerati).
⚠️ ATTENTION, cette inopposabilité suppose toutefois que la démission soit réelle, c’est-à-dire que le liquidateur judiciaire doit apporter la preuve de la réalité de la démission, qui ne doit pas être contestée, pour pouvoir engager la responsabilité d’un dirigeant dont la démission n’a pas été publiée.
De même, alors qu’il aurait démissionné avant les faits générateurs de l’insuffisance d’actif, un ancien dirigeant peut voir sa responsabilité engagée dès lors que, postérieurement à sa démission, il a de fait continué à apparaître et à se présenter aux audiences comme représentant légal de la société (Cass. com., 7 oct. 2020, n°19-14.291, BRDA 22/2020, n°3, p. 4, RJDA 2021, n° 20, p. 29).
- L’insuffisance d’actif doit être caractérisée au jour de sa démission
Initialement, la Cour de cassation avait jugé que les dirigeants en fonction à une époque antérieure à celle où avait été créée la situation ayant abouti à l’insuffisance d’actif ne pouvaient être inquiétés (Cass. com., 6 mai 1981, n°79-15.346).
Aujourd’hui le principe ancré est celui selon lequel la condamnation du dirigeant retiré suppose que l’insuffisance d’actif existe à la date de la cessation des fonctions, c’est-à-dire sa démission (Com. 24 mars 2021, n° 20-10.677, NP, n° 273 F-D ; Cass. com., 19 avr. 2023, n°22-11.229, RJDA août- sept. 2023, n°451, p. 62), sauf s’il continue à assurer la gestion en tant que dirigeant de fait (Com. 17 sept. 2013, n° 12-26.360, NP, n° 820 F-D), ou au jour de la cessation des fonctions d’un dirigeant de fait (Com. 27 janv. 2015, n° 13-12.430, NP, n° 67 F-D, D. 2015.pan. 1978, note Lucas).
Plus précisément encore, sa condamnation ne sera possible que si l’ouverture de la procédure est la conséquence d’une situation créée lorsqu’il était en fonction (Com. 27 avr. 1993, n° 91-14.204, P IV, n° 151 : Rev societés 1993. 871, note Le Nabasque).
De fait, la Cour de cassation censure des décisions de condamnation de cours d’appel, à défaut d’avoir précisé si l’insuffisance d’actif existait déjà à la date à laquelle le dirigeant avait cessé ses fonctions (Com. 22 juin 2010, n° 09-14.486, NP, n° 684 F-D, Gaz. Pal. entr. diff. 15-16 oct. 2010, p. 38, note Montéran).
Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé qu’un dirigeant démissionnaire ne peut être condamné en se basant uniquement sur les nombreux impayés dont il est responsable. En effet, cela apporte la preuve de l’état de cessation des paiements, mais ne permet pas d’établir que l’insuffisance d’actif existait avant la démission du dirigeant recherché en responsabilité pour insuffisance d’actif (Com. 5 avr. 2016, n° 14-13.843).
A contrario, il a été jugé que, si à la date de démission du dirigeant, il y a déjà cessation des paiements et si les fonds propres sont déjà négatifs, l’insuffisance d’actif peut être caractérisée et il peut être condamné à ce titre (Com. 22 janv. 2013, n° 11-27.420 ; Rev. P.PC. 1er mai 2013,
n° 121, p. 43).
Toutefois, il est important d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire que le montant exact de l’insuffisance d’actif soit déterminé à cette date (Com. 6 oct. 2009, n° 06-15.141, NP, n° 860 F-D, Bull. Joly 2010. 249, note Rubellin). En effet, il doit être apprécié au jour où statue la juridiction saisie de l’action en responsabilité et non au jour de l’ouverture de la procédure collective (Cass. com., 27 juin 2006, n°05-11.690, JCP E 2007, 1117, note Delattre Ch).
Vous avez été assigné(e) en responsabilité pour insuffisance d’actif ? Contactez Maître Sheherazade AQIL pour en discuter et établir une stratégie de défense.