L’article L. 622-13 du Code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-14 alinéa 1er du même Code, pose le principe de continuation des contrats en cours à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
En effet, le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur des engagements antérieurs au jugement d’ouverture.
Le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à une déclaration au passif du débiteur.
La résiliation d’un contrat continué fait l’objet d’un traitement spécifique (article L. 622-13 du Code de commerce).
Le cocontractant doit adresser une mise en demeure à l’administrateur judiciaire lui demandant de se prononcer sur la continuation du contrat en cours. Cette mise en demeure doit alors rester plus d’un mois sans réponse.
C’est seulement en cas d’absence de réponse, que le contrat sera résilié de plein droit.
1. Le principe de continuation du bail commercial
Le principe de continuation des contrats en cours s’impose également en matière de baux, par les dispositions propres aux procédures collectives (article L. 622-13 du Code de commerce) mais également par le biais des dispositions générales relatives au bail commercial : « Le redressement et la liquidation judiciaires n’entraînent pas, de plein droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’industrie, au commerce ou à l’artisanat du débiteur, y compris les locaux dépendant de ces immeubles et servant à son habitation ou à celle de sa famille. Toute stipulation contraire est réputée non écrite. » (L. 145-45 du Code de commerce).
Toutefois, selon l’article L. 622-14 du Code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 alinéa 1er du même Code, les baux d’immeubles donnés à bail au débiteur (1) et utilisés pour l’activité de son entreprise (2) peuvent être résiliés.
1) Dans un premier temps, le contrat de bail doit être un « contrat en cours ».
Dans certains cas, la jurisprudence a admis que la résiliation du bail étant acquise avant l’ouverture de la procédure, le contrat n’était plus en cours et l’administrateur ne pouvait en exiger la continuation (Com. 21 févr. 1990, no 88-13.644, D. 1990. IR 73). La même solution a été retenue lorsque la résiliation a été constatée avant le jugement d’ouverture par une ordonnance de référé définitive, c’est-à-dire passée en force de chose jugée, même si elle n’a pas l’autorité de la chose jugée au principal (Com. 24 oct. 1995, no 93-17.051, Bull. civ. IV, no 254).
2) Dans un second temps, le contrat doit porter sur un « immeuble affecté à l’activité de l’entreprise ».
Ce peut être les locaux abritant le siège de l’entreprise, des entrepôts, des magasins ou tous autres immeubles comme des terrains. La caractérisation de l’affectation à l’activité de l’entreprise est largement appréciée pour permettre à l’entreprise de conserver ses locaux affectés à son activité, élément déterminant à la poursuite de son activité.
2. La possible résiliation à l’initiative du bailleur (L. 622-14, 2° du Code de commerce)
- • L’inapplicabilité des règles de résiliation de droit commun
Par principe, la résiliation ne peut intervenir que pour un défaut de paiement des loyers et/ou des charges, et non du fait de la simple ouverture de la procédure collective.
Dans le cas précis du bail, une mise en demeure demeurée vaine pendant le délai d’un mois ne provoque pas la résiliation : elle est sans effet sur le contrat de bail commercial qui continue donc de produire effet (Cass. com., 2 mars 2010, n°09-10.410). La continuation de ce contrat est de droit, le locataire bénéficiant d’une protection forte dès l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
C’est l’ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté qui a érigé cette règle par la nouvelle rédaction de l’article L. 622-14 du Code de commerce précisant que la résiliation du bail intervient : « sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 622-13 », soit sans préjudice des règles de droit commun de la résiliation des contrats en cours.
Cela signifie que s’appliquent, par ce texte : la prohibition des clauses de résiliation ou de résolution du seul fait de l’ouverture de la procédure, l’obligation pour le cocontractant de remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture, le principe du pouvoir exclusif de l’administrateur d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur, le paiement au comptant ou encore l’obligation, pour l’administrateur, de s’assurer qu’il dispose des fonds nécessaires (Recueil Dalloz 2010 p.649, Bail commercial en cours : la Cour de cassation rejoint le législateur et la doctrine, A. Lienhard).
Une partie de la doctrine a regretté le choix du législateur d’avoir « rompu l’équilibre entre les droits du bailleur et du preneur en difficulté » (F. Kendérian, Le bail des locaux professionnels dans les procédures collectives après l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 6-7 mars 2009, p. 31, n° 19). En effet, au regard du droit commun autorisant le cocontractant à mettre en demeure l’administrateur d’exercer son droit d’option s’agissant des contrats en cours (article L. 622-13, III, 1° du Code de commerce), le bailleur se retrouve lésé.
Par conséquent, s’agissant d’un bail commercial, le défaut de réponse de l’administrateur à la mise en demeure du cocontractant est impropre à emporter la résiliation du contrat.
- • La forme des résiliations
En lieu et place de la mise en demeure restée sans réponse, le bailleur doit demander la résiliation (1) ou faire constater la résiliation du bail (2) pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture.
Il en résulte deux formes de résiliation :
- – La résiliation judiciaire du bail (demande)
- – La résiliation du bail par la mise en œuvre d’une clause résolutoire (constat)
Dans ce second cas, la jurisprudence a jugé que la procédure de droit commun des baux commerciaux est applicable à la mise en œuvre de la clause résolutoire en procédures collectives.
D’une part, un commandement de payer doit être adressé au locataire et doit rester infructueux pendant un mois. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai (article L. 145-41 alinéa 1er du Code de commerce).
D’autre part, les juges peuvent être saisis, par l’administrateur, le mandataire ou le débiteur, d’une demande de report ou d’échelonnement des sommes dues (article 1343-5 du Code civil) par requête adressée ou déposée au greffe (article R.622-13 du Code de commerce).
Ils peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Com. 6 déc. 2011, no 10-25.689, JCP E 2012. 1020, 1209, note Kendérian ; BRDA 1/12, no 11 ; D. 2012. Actu. 6, obs. Lienhard; Act. proc. coll. 2012. Comm. 10, obs. Vallansan; Rev. loyers 2012. 53, obs. Lebel; Ann. loyers 2012. 25, obs. Cerati-Gauthier; Administrer févr. 2012, p. 35, obs. Lipman et Boccara. – Com. 30 oct. 2007, no 05-17.719).
Dans ce cas, la clause résolutoire ne jouera pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge (article L. 145-41 alinéa 2 du Code de commerce).
- • Les règles de droit commun
La condition principale inhérente à la résiliation est qu’elle n’est possible que pour le défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture (article L. 622-14 alinéa 1er, 2° du Code de commerce).
En effet, il existe un principe de gel des créances antérieures en procédure collective (pour en savoir plus : Voir article : gel des créances antérieures).
De fait, le texte vise exclusivement les créances du bailleur trouvant leur fait générateur postérieurement au jugement d’ouverture, peu important la date d’exigibilité des loyers ou des charges (F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, 7e éd., « anuel , LGDJ, 2006, no 205 10e éd., 2014).
Lorsque le commandement vise à la fois des loyers antérieurs et des loyers postérieurs, les loyers postérieurs impayés suffisent à donner plein effet au commandement emportant résiliation du bail laquelle pourra être constatée (Civ. 3e, 16 juin 2004, no 02-19.692, NP, AJDI 2005. 132, obs. P.-M. Le Corre; JCP E 2005, no 37, p. 863, obs. J. Monéger).
Pour le cas d’un loyer impayé dont la période est « à cheval » entre le moment où la procédure n’était pas ouverte et une période postérieure au redressement judiciaire, il appartient au bailleur de procéder à un prorata, en distinguant, dans son loyer, la fraction relative à une occupation antérieure au jugement d’ouverture et celle afférente à une occupation postérieure audit jugement (Cass. com. 28 mai 2002, D. 2002, AJ p. 2124, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2002/13, n° 172).
Sur la compétence du juge, l’article R. 622-13 du Code de commerce dispose que le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus à l’article L. 622-14 du Code de commerce, ainsi que la date de cette résiliation.
En matière de baux, la Cour de cassation a expressément consacré une compétence concurrente du juge des référés pour statuer sur la clause résolutoire insérée dans le contrat et sur l’application de l’article L. 145-41 du Code de commerce (Com. 10 juill. 2001, no 99- 10.397, D. 2001. AJ 2830, obs. Lienhard; Act. proc. coll. 2001, no 177, obs. Regnaut-Moutier).
La compétence donnée au juge-commissaire par l’article 61-1 du décret n° 85-1388 du 27 décret 1985, introduit par le décret n° 94-910 du 21 octobre 1994, pour constater la résiliation de plein droit des contrats poursuivis après l’ouverture de la procédure collective n’exclut pas la compétence du juge des référés, appelé à statuer en application de la clause résolutoire insérée au bail et de l’art. 25 du décret n° 53-960 du 30 sept. 1953 (C. com., art. L.145-41), indépendamment du déroulement de la procédure collective (Recueil Dalloz, Résiliation des baux poursuivis : articulation de la compétence du juge-commissaire et du juge des référés – Cour de cassation, com. 10 juillet 2001 – D. 2001. 2830).
S’agissant du délai d’action du bailleur, il ne peut agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture. Cela signifie que si le paiement des sommes dues intervient avant ce délai de trois mois, le bailleur ne peut prétendre à une quelconque résiliation du contrat. Ce n’est pas la date d’exigibilité des loyers impayés qui détermine le droit de demander la résiliation mais celle de l’occupation des lieux : les loyers impayés doivent concerner une période postérieure au jugement d’ouverture.
Ce délai de trois mois doit être expiré au jour de l’introduction de l’action par assignation. Il s’ensuit que si l’assignation a été délivrée de manière prématurée, les juges ne peuvent que rejeter la demande en résiliation (Cass. com., 2 nov. 1993, no 91-14.669, Bull. civ. IV, no 373).
Ce délai de carence impose donc au bailleur de maintenir le bail alors que les loyers ne sont pas payés, et déroge au droit commun diligentant la résiliation de plein droit des contrats en cours, prévoyant qu’en cas d’inexécution du contrat, une résiliation immédiate est encourue de plein droit (article L. 622-13, III, 2° du Code de commerce).
Sur les obligations du bailleur qui poursuit la résiliation du bail, il doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits sur le fonds de commerce (article L. 143-2 du Code de commerce). Le jugement prononçant la résiliation ne pourra être rendu qu’un mois après la notification.
3. La résiliation à l’initiative de l’administrateur judiciaire (article L. 622-14, 1° du Code de commerce)
L’administrateur judiciaire est le seul organe désigné pour exiger la continuation des contrats en cours, ou alors y mettre fin, notamment le contrat de bail. En effet, la résiliation peut intervenir dans le cas où le débiteur n’est plus en mesure d’exécuter le contrat, soit payer le loyer.
Pour cela, il doit en informer le bailleur. Dans ce cas, l’inexécution du contrat de bail pour la période restant à courir peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du bailleur, dont le montant doit être déclaré au passif.
À cet égard, le bailleur bénéficie d’un délai supplémentaire d’un mois à compter de la date de la résiliation de plein droit ou de la notification de la date de la décision prononçant la résiliation, pour déclarer au passif ladite créance éventuelle résultant la résiliation. Il en est de même des créances d’indemnités et pénalités en cas de résiliation d’un contrat régulièrement poursuivi (article R. 622-21, alinéa 2 du Code de commerce).
Le bailleur peut également différer la restitution des sommes versées en excédent par le locataire en exécution du contrat jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts. Par exemple, il pourra conserver le dépôt de garantie versé par le locataire (Com. 24 juin 2003, no 00-17.156, RTD civ. 2004. 512, obs. Mestre).
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